• Force est avec nous

    « Dans une vidéo datant de 2005, [Donald Trump, photo ci-contre] se vante d'essayer de coucher avec des femmes mariées. "Quand on est une star, elles nous laissent faire. On fait tout ce qu'on veut", explique-t-il à un présentateur de télévision avec forces détails, alors qu'il est enregistré à son insu.  »
    (Elsa Conesa, sur lesechos.fr, le 8 octobre 2016)

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Michael Vadon)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Force, directement suivi d'un nom sans préposition ni article, signifie « un grand nombre de, beaucoup de, quantité de » : « J'ai dévoré force moutons » (La Fontaine), « Je connais force huissiers » (Racine), « Force charmantes maisons inventées pour la récréation des yeux » (Hugo), « Nous nous séparâmes à la porte avec force poignées de main » (Alphonse Daudet), « Nous passions [...] la plupart de nos soirées à rédiger force lettres » (Georges Duhamel), « Il a reçu force compliments » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Si les spécialistes de la langue ne s'accordent pas sur la nature grammaticale de l'intéressé dans ce cas − nom féminin employé comme adjectif indéfini selon l'Académie et le TLFi, comme adverbe (de quantité) selon Dupré, Thomas, Larousse et Robert −, force est de constater que l'unanimité est de mise dès lors qu'il est question de son caractère invariable (*).

    Cet emploi de force pour exprimer la quantité, l'abondance est considéré de nos jours comme vieux ou littéraire ; il est assurément ancien, mais ressortissait plutôt au registre familier si l'on en croit les premières éditions du Dictionnaire de l'Académie. On le trouve dès le XIVe siècle, avec ou sans la préposition de : « Force amours luy fit faire » (Jean Le Bel, 1344), « Par si grans langaiges [...] et force de raisons » (Denis Foulechat traduisant Jean de Salisbury, 1372), « Avecques force de moustarde » (Sottie de Maître Pierre Doribus, vers 1480), « Force archiers à la porte » (Philippe de Commynes, vers 1490), « [Il] envoya après moy grande force de gens-d'armes » (Id.), « Chacun aura force d'argent » (Jacques Dadouville, cité dans le Dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy), « Force avez de vins et de grains » (Pierre Gringore), « Il se trouvait en cette ville force musiciens » (Jacques Amyot traduisant Plutarque), « Lieux où il y a force arbres » (Jean Nicot), « Faisant allumer force flambeaux » (Vaugelas traduisant Quinte-Curce).

    Il n'aura échappé à personne, à la lecture de ces extraits, que les noms pluriels sont souvent en position de force après force. C'est, du reste, ce que laissent entendre plusieurs grammairiens, à commencer par Hanse : « Force, suivi d'un nom pluriel, est littéraire et signifie "beaucoup de". » Voilà qui force la suspicion. Car enfin, ledit tour s'accommode fort bien de substantifs singuliers (non comptables), ainsi que l'exposait Laurent Chifflet, avec force exemples, dans sa Grammaire de la langue française publiée en 1659 : « Force signifie beaucoup, et se met sans article, en tout genre et en tout nombre. Force vin, force eau, force bœufs, force vaches, etc. » Citons encore : « Il faut mêler pour un guerrier / À peu de myrte et peu de roses / Force palme et force laurier » (Malherbe), « Je sais assurément qu'il te veut force bien » (Corneille), « Voilà Monsieur le Marquis qui en dit force mal » (Molière), «  Il vous ordonne sans doute de manger force rôti ? » (Id.), « Un bain d'eau pure et nette, avec force petit-lait clair » (Id.), « Il a force argent, force pierreries, force amis, pour dire, Il a beaucoup d'argent, de pierreries et d'amis » (première édition du Dictionnaire de l'Académie, 1694), « J'ai barbouillé force papier » (Chateaubriand), « Dans cette maison, il y avait force joie et beaucoup de dettes » (Id.), « [Ils] sablaient force champagne » (Pierre-Jean de Béranger), « Puis force joli papier pour lui écrire une lettre par quinzaine » (Honoré de Balzac), « Donne force pâture à ta grande fournaise » (Auguste Barbier), « Je n'eus pas le loisir d'user force papier » (Frédéric Mistral) et, plus près de nous, « Le baron expliqua avec force ironie que [...] » (Jean d'Aillon), « L'un d'eux [...] parla avec force jalousie du filon qu'exploite son filou de patron » (Boualem Sansal), « Elle avait tenté de la [sa faim] tromper avec force nourriture » (Sylvie Germain), « On buvait force champagne » (Alexandre Jardin).

    Loin de moi la prétention de croire être venu à bout de force. Nul doute que le bougre ne recèle quelque autre difficulté. Mais de là à conclure que le bon usage de notre locution relève du tour de force...

    (*) Dans les faits, les textes anciens ne reflètent pas aussi nettement cette invariabilité, en raison des nombreuses hésitations orthographiques relevées au fil des éditions : « Force(s) sessions, stations, perdonnances [...] » (Pantagruel de Rabelais), « Belles maisons, habits de toutes sortes, force(s) musiciens [...] » (Satire Ménippée), « M. de Boufflers fait tirer force(s) bombes et des boulets rouges » (Journal du marquis de Dageneau de Philippe de Courcillon de Dangeau), etc.

    Remarque 1 : Dans l'expression de la quantité, Grevisse distingue entre : (tout) plein de (familier), beaucoup de ou quantité de (langue ordinaire), (bon) nombre de (langue soignée) et force (littéraire).

    Remarque 2 : On notera que c'est le nom qui suit force qui détermine l'accord : « Force gens font du bruit en France » (Jean de La Fontaine), « Force brillants sur sa robe éclataient » (Id.), « Force gens croient être plaisants qui ne sont que ridicules » (Guez de Balzac), « Force idées qu'il n'aura pas eues et qui seront portées aux nues » (Guillaume Imbert), « Force soldats y périrent » (Adolphe Thomas).

    Remarque 3 : À la différence de beaucoup, qui peut introduire un nom ou un groupe nominal par l'intermédiaire de la préposition de, force, employé désormais sans de, ne peut être suivi que par un nom. Comparez : beaucoup d'amis, beaucoup de mes amis, mais force amis.

    Remarque 4 : Sont également invariables les locutions : à force de, de force, en force, à toute force.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Avec force détails.

     

    « La langue dans les étoilesDemandé en bonne et due forme »

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :