• Un tandem de la mort

    Un tandem de la mort

    « Mort de Robert Badinter : Me Henri Leclerc, [photographié en 2023] lors de la cérémonie funéraire de l'avocat Hervé Temime [...], pleure "un grand homme et un ami". »

    (paru sur yahoo.com, le 9 février 2024.)

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Doit-on dire d'une cérémonie d'enterrement qu'elle est funéraire ou funèbre ? Joseph de Miribel nous éclaire sur ce sombre sujet :

    « [À l'occasion des funérailles d'Elizabeth II], les médias ont parlé à profusion de cortège funéraire [mais aussi de convoi funéraire, procession funéraire, cérémonie funéraire] en lieu et place de cortège funèbre [convoi funèbre, etc.]. Est-il nécessaire de rappeler que funèbre concerne "la mort et/ou les funérailles", funéraire concerne "les tombes et cimetières" (TLFi) ? Plus simplement : tout est funèbre jusqu'au cimetière où les choses deviennent funéraires » (Défense de la langue française, 2022).

    Plus limpide que ça, tu meurs, comme on disait dans ma jeunesse. Las ! cette répartition d'emploi entre les deux adjectifs, quand elle serait séduisante, est loin de faire l'unanimité parmi les spécialistes de la langue. À commencer par le TLFi, dont la position se révèle nettement moins tranchée que ce que l'on veut nous faire croire. Jugez-en plutôt : « Convoi funèbre, funéraire » (à l'article « convoi »), « Cortège funèbre » (à l'article « cortège »), « Convoi, cortège funèbre » (à l'article « enterrement »), « Cérémonie, cortège funèbre » (à l'article « funèbre »), « Cérémonie, convoi funéraire » (à l'article « funéraire »), « Convoi funèbre » (à l'article « obsèques »), « Cortège funéraire » (à l'article « rallier »), etc. Inutile d'aller chercher six pieds sous terre les raisons de cette valse-hésitation au faux air de danse macabre. Il suffit de jeter un coup d'œil aux définitions correspondantes :

    « Funèbre. 1. Qui a rapport à la mort, aux funérailles. 2. Au figuré. Sombre, lugubre, qui inspire de la tristesse. »

    « Funéraire. 1. Qui est relatif, qui a rapport aux funérailles. 2. Qui commémore le souvenir de la mort de quelqu'un. Au figuré. Triste, lugubre. »

    On le voit : les acceptions se chevauchent, et pas qu'un peu ! La faute à une étymologie commune : le latin funus, « funérailles ; mort violente ; anéantissement, ruine ». La faute, surtout, à un manque de précision dans les définitions de nos dictionnaires :

    « Funèbre, "qui appartient aux funérailles". Funéraire, "qui concerne les funérailles" (Dictionnaire de l'Académie, 1835). Mauvaises explications, qui n'établissent aucune différence entre ces deux mots » (Jacques-François Daniel, Leçons de français, 1837).

    « Littré définit funèbre "qui appartient aux funérailles" et funéraire "qui concerne les funérailles". Différence insensible ? » (André Moufflet, Au secours de la langue française, 1948).

    « Certains dictionnaires généraux définissent funéraire et funèbre sensiblement de la même façon ("qui concerne les funérailles", "relatif aux funérailles", etc.), s'en remettant à des exemples pour montrer que ces adjectifs ne sont pas interchangeables [1] » (Jean Maillot, Les Paronymes, 1978).

    « J'avais des certitudes sur l'usage de ces termes, mais quand on consulte les dictionnaires [on reste] un peu sur [s]a faim [...]. Avouons que les définitions ne sont pas très éclairantes » (Jean Pruvost, dans sa chronique Le Mot du jour, diffusée en 2017 sur RCF).

    « Les dictionnaires ne nous aident pas beaucoup. À les lire, funéraire : qui concerne les funérailles, et funèbre : qui a rapport aux funérailles. Autant faire notre... deuil d'explications claires » (Jean-Loup Chiflet et Marie Deveaux, Les Curiosités de la langue française pour les nuls, 2020).

    Gageons que les lexicographes incriminés sont dans leurs petits souliers, à défaut d'être à côté de leurs... pompes. Il se trouve pourtant quelques bonnes âmes qui ont cherché à établir une distinction entre les deux mots, en précisant les conditions de leur emploi. Penchons-nous sur leurs écrits :

    « Funéraire se dit de ce qui appartient aux funérailles, comme frais funéraires. On appelle colomne funéraire, en architecture, une colomne qui supporte une urne où l'on suppose que les cendres de quelqu'un sont renfermées. Funèbre signifie triste, ce qui appartient à la mort ou qui est capable d'en rappeler l'idée » (Antoine François Prévost, Manuel lexique des mots françois, 1750).

    « On donne l'épithète de funéraire à ce qui porte avec soi l'empreinte de la tristesse ; et l'épithète de funèbre à ce qui porte avec soi l'empreinte de la douleur. Ainsi, un ornement, une lampe, une torche sont des objets funéraires, parce qu'ils parlent uniquement aux yeux ; mais une cérémonie, une pompe, une oraison sont des objets funèbres, parce qu'ils parlent vivement au cœur » (Marc-Alexandre Caminade, Premiers élémens de la langue française, édition de 1803).

    « Ce que ces adjectifs ont de commun, c'est d'exprimer ce qui concerne les funérailles ; mais funéraire ne rappelle que l'idée des cérémonies qui ont lieu lors d'un enterrement, et funèbre joint à ce souvenir quelque chose de triste, de lugubre ou d'effrayant. L'ouvrier qui dresse un catafalque ou un lit funéraire, le clerc qui suppute froidement à combien s'élèvent des frais funéraires, ne sauraient être affectés comme l'ami qui, les larmes aux yeux, rédige une note pour l'éloge funèbre [du défunt]. De tous les honneurs funéraires, l'oraison funèbre est celui qui doit flatter le plus ceux qui sont jaloux de vivre dans la mémoire des hommes » (Jean-Baptiste Leroy de Flagis, Nouveau Choix de synonymes français, 1812).

    « [Funéraire] n'est guère usité en prose que dans cette phrase frais funéraires ; mais les poètes l'emploient comme synonyme de funèbre, morbide, et donnent volontiers cette épithète à tout ce qui concerne les funérailles » (Louis Carpentier, Le Gradus français, 1822).

    « Funèbre et funéraire ont dans les dictionnaires la même définition, et dans le style poétique on les emploie indistinctement ; mais dans la prose le mot funéraire n'est guère usité qu'avec les mots frais et urne » (Jacques-François Daniel, Récréations grammaticales, 1828).

    Les premiers désaccords se font jour. D'abord, l'idée de funérailles, commune aux deux adjectifs chez Leroy de Flagis, n'est rattachée qu'à funéraire chez l'abbé Prévost. Ensuite, si Leroy de Flagis semble partager avec Caminade l'idée que funéraire ne possède pas la valeur affective de funèbre, il ne rechigne pas à l'appliquer à des noms de sens abstrait (honneurs funéraires), fussent-ils plus à même de parler au cœur qu'aux yeux. Enfin, et surtout, ces subtilités laissent de marbre tous ceux qui, à l'instar de Carpentier et de Daniel, considèrent que les deux adjectifs ne sont véritablement en concurrence que dans la langue poétique.
    Que les poètes aient employé indistinctement funèbre et funéraire selon les besoins de la rime, cela ne fait guère de doute (2). Mais il est inexact de dire que les prosateurs ne se servaient de funéraire, à l'époque, que pour qualifier frais (ou urne(3). Un rappel historique s'impose.

    À l'origine − entendez dès le XIVe siècle − c'est l'ancien adjectif funéral (du latin funeralis) qui cumulait toutes les acceptions : « Despenz funerales » (Testament du Prince Noir, 1376), « Saincts droiz funeraulx » (Laurent de Premierfait, 1409), « Obsèques funéraulx » (Jean Cabaret d'Orville, 1429), « Pompe funeralle » (Jean Lemaire de Belges, 1507), « Oraison funeralle » (Guillaume Michel, 1530), « Lict funeral » (Gilles Corrozet, 1561), « Ornements funeraux » (Jacques Amyot, 1567), « Ceremonie funerale » (François de Belleforest, 1575). À partir du XVIe siècle, funeral commence à souffrir de la concurrence de funèbre (du latin funebris) : « Grans pompes funebres » (Jean Lemaire de Belges, 1509), « Oraison funebre » (Id., vers 1514), « Ô jour funebre » (Clément Marot, 1532), « À ce convy [= banquet] funebre je t'invite » (Antoine Héroët, 1542), « Obseque funebre » (Jacques Peletier du Mans, 1547), « Ceremonies funebres » (Emond du Boullay, 1550), « Convoy funebre » (George de La Bouthière, 1556), « Deploration funebre » (Jacques Amyot, 1567), « Lict funebre » (Ronsard, 1579), « Fraiz funebres » (Coustumes du pays de Lorraine, 1594) puis, dans une moindre mesure il est vrai, de funéraire (du bas latin funerarius) : « Dettes, legats et frais funeraires » (Testament de Louise Labé, 1565) ; « Obseques funeraires », « Pompe funeraire » à côté de « Oraison funebre » (Jean Gillot, 1566) ; « Despense funeraire » à côté de « Honneurs funèbres » (Jean Papon, 1569) ; « Cierges funeraires » à côté de « Oraison funebre », « Pompe funebre » (Renaud de Beaune, 1587) ; « Oraison funeraire », « Honneurs funeraires » à côté de « Oraison funebre », « Repas funebre » (Pierre de Bullioud, 1596) (4). Funéraire, d'abord et surtout employé dans des textes juridiques, voit son usage s'étendre au cours des deux siècles suivants : « Éloge funéraire » (Jean-Pierre Camus, 1641) ; « Ornemens funeraires » (Jean Tournet, 1662) ; « Ceremonies funeraires » (Honoré Bouche, 1664) ; « Colonne funéraire », « Monument funéraire », « Urne funéraire » (Thomas Corneille, Dictionnaire des arts et des sciences, 1694) ; « Torche funeraire » (Mercure de France, 1735) ; « Cortège funéraire » (Claude Le Beau, 1738 ; Nicolas Beauzée, 1788) ; « Pierre funéraire » (Léon Ménard, 1758) ; « Convoi funéraire » (Voltaire, 1762) ; « Lit funéraire » (Mercure de France, 1768) ; « Autel funéraire » (Mathieu-François Pidansat de Mairobert, 1778) ; etc. Même l'Académie, qui avait fait le choix de réserver l'intéressé à la seule expression frais funéraires (« dépenses faites pour les obsèques ») dans les premières éditions (1694-1762) de son Dictionnaire, est bien obligée de rendre compte de cette tendance dans les éditions suivantes : « Genre funéraire ou sépulcral », « Torches funéraires » (1798) ; « Colonne funéraire », « Monument funéraire » (1835).

    Mais poursuivons notre revue chronologique (j'allais écrire : nécrologique) :

    « Funéraire, qui concerne les funérailles, et non pas, comme funèbre, qui appartient aux funérailles, est un mot moins expressif ou plus abstrait, parce qu'il marque avec les funérailles un rapport moins essentiel, moins présent. [C'est] un terme, non pas de poëte, mais plutôt d'antiquaire, de légiste ou d'intendant » (Pierre-Benjamin Lafaye, Dictionnaire des synonymes, 1858 ; qui écrit par ailleurs : « Une cérémonie funéraire ou funèbre »).

    « Funèbre, d'après sa terminaison, signifie "qui fait, qui constitue les funérailles (funus)" ou "qui en présente l'image" [de même que salubre signifie "qui porte, qui produit la santé (salus)"] ; il se dit de tout ce qui compose les funérailles [...]. Funéraire signifie "relatif aux funérailles" [tout comme l'art militaire a rapport à la guerre] » (Antoine Léandre Sardou, Nouveau Dictionnaire des synonymes, 1866).

    « Funéraire exprime un simple rapport avec les funérailles considérées sous le point de vue des usages, des cérémonies matérielles ou des dépenses. Funèbre ajoute à cette idée de rapport quelque chose de sombre, de triste comme la mort, ou bien il marque ce qui fait partie essentielle des funérailles mêmes. Une urne funéraire est celle qu'on a trouvée dans quelque tombeau antique ; le style funéraire est celui qui convient pour les épitaphes. Mais on dit : chants funèbres, convoi funèbre, honneurs funèbres, parce que tout cela constitue proprement les funérailles » (Grand Larousse du XIXe siècle, 1872).

    Oublié le funéraire des poètes, remisés au second plan les objets qui parlent aux yeux ou au cœur. Ici, il est moins question de la nature ou de la charge émotionnelle de la chose qualifiée que de son usage : est-elle partie essentielle ou accessoire des funérailles, conformément à la suffixation en -bre ou en -aire ? Pas sûr que l'usager de la langue vivante ait gagné au change : « Ces distinctions [telles que Lafaye les définit] ne sont pas toujours faciles à saisir », se désole un instituteur suisse dans la revue pédagogique L’Éducateur (1891). Pis, elles sont sujettes à interprétation. Le linguiste français Auguste Bourguignon n'en vient-il pas à prendre le contre-pied de l'opinion dominante, en écrivant dans son propre Dictionnaire des synonymes (1884) : « Funéraire [...] ne se dit que de ce qui a un rapport direct avec les funérailles, de ce qui en fait partie ou en est la suite » ?

    Venons-en aux spécialistes du XXe et du XXIe siècle :

    « Funèbre se dit de ce qui appartient essentiellement aux funérailles, et sert à dépeindre tout ce qui accompagne ces cérémonies : Honneurs, vêtements funèbres. Oraison, chant, convoi, couche funèbre. Funéraire se dit de ce qui concerne les funérailles du point de vue des usages : accessoires de deuil, dépenses, etc. Il a plus souvent trait aux choses matérielles : Frais funéraires. Monument, colonne, urne, drap, couronne funéraire » (Thomas, Dictionnaire des difficultés de la langue française, 1956).

    « Pour bien voir la différence de sens entre ces deux mots, le mieux est de donner des exemples dans lesquels ils ne sont pas interchangeables : on ne peut pas parler d'hommage funéraire, ni de veillée funéraire, ni de scènes funéraires. Inversement, on ne peut pas parler de couronnes funèbres ou de fleurs funèbres : funèbre est donc apte à déterminer des substantifs de sens abstrait, alors que funéraire est plus souvent limité aux substantifs concrets » (Dupré, Encyclopédie du bon français, 1972).

    « Indépendamment des expressions consacrées [chant funèbre, jeux funèbres, veillée funèbre, pompes funèbres, cérémonie funèbre, honneurs funèbres, service funèbre, marche funèbre, discours funèbre, éloge funèbre, oraison funèbre, mais urne funéraire, dalle funéraire, ornements funéraires, frais funéraires, art funéraire, mobilier funéraire], funéraire se distingue de funèbre par le fait qu'il est un mot moins littéraire, moins "noble" et qu'il s'applique plutôt aux choses matérielles » (Girodet, Pièges et difficultés de la langue française, 1981).

    « L'adjectif funéraire appartient à un domaine plus restreint que funèbre, au sens de "qui concerne les funérailles". Surtout employé avec monument, urne, colonne. Seul funèbre peut avoir un emploi figuré » (Jean-Paul Colin, Dictionnaire des difficultés du français, 1994).

    « Funèbre, dont les sens sont voisins de funéraire, [...] s'applique à des noms plus abstraits : Une oraison funèbre, une veillée funèbre. Une urne funéraire, un drap funéraire » (rubrique Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, 2013).

    « Les deux mots ont un sens distinct. Funéraire est technique : il désigne ce qui est relatif aux morts et à leur sépulture, par exemple urne funéraire. Funèbre est plus général et désigne ce qui est relatif aux obsèques : oraison funèbre, marche funèbre, pompes funèbres » (Bernard Cerquiglini, Le Sens des mots, 2018).

    « Si funèbre et funéraire sont deux adjectifs qui, bien sûr, se rapporte à des funérailles, les deux termes ne sont pas interchangeables : chacun d'eux a ses propres emplois. La cérémonie en hommage aux treize soldats morts au Mali a donc été erronément qualifiée de "funéraire", alors que c'est funèbre qui convenait. Ce dernier terme qualifie en effet ce qui concerne l'apparat, les formes des obsèques : marche funèbre, cérémonie funèbre, convoi funèbre, honneurs funèbres, chants funèbres, oraison funèbreFunéraire qualifie surtout des choses matérielles : urne funéraire, couronnes funéraires, colonne funéraire, monument funéraire, frais funéraires, pierre funéraire… » (Jean-Pierre Colignon, sur son blog, 2019).

    « Funèbre se rapporte au service des morts dans son ensemble : la cérémonie, la marche, l'oraison, les pompes. Avec funéraire, on entre plutôt dans la logistique : l'urne, le caveau, la stèle » (Jean-Loup Chiflet et Marie Deveaux, Les Curiosités de la langue française pour les nuls, 2020).

    « Les deux adjectifs ont trait l'un et l'autre aux funérailles, mais n'ont pas exactement les mêmes emplois. Funèbre qualifie plutôt ce qui concerne l'apparat, les formes extérieures des cérémonies d'obsèques : veillée funèbre, marche funèbre, oraison funèbre, pompes funèbres. Funéraire s'applique davantage aux objets utilisés dans le rituel mortuaire, notamment ceux qui sont liés à l'ensevelissement ou à la crémation : pierre funéraire, stèle funéraire, urne funéraire, bûcher funéraire » (Larousse en ligne).

    Chacun apporte sa pierre (tombale) à l'édifice. Les uns « revisitent » les critères anciens (Thomas combine ceux de Caminade et de Lafaye, quand Dupré et l'Académie ne retiennent que le premier), les autres y vont de leur touche personnelle. Mais le fait est, me direz-vous, que, quel que soit le ou les éléments de différenciation retenus, nos spécialistes aboutissent aux mêmes conclusions.
    En apparence seulement. C'est que le diable, on ne le sait que trop, se cache dans les détails.

    Commençons déjà par observer que les anges gardiens du bon usage ne sont pas les derniers à contrevenir aux prescriptions qu'ils ont eux-mêmes établies. Surpris en flagrant délit de contradiction : Jean-Loup Chiflet, qui nous donne de la « veillée funéraire » dans son Dictionnaire amoureux de la langue française (2014) ; Jean-Pierre Colignon, qui laisse échapper ailleurs sur son blog un « (participer à d'autres) cérémonies funéraires », et l'Académie, qui fait de même à l'article « sépulture » de la dernière édition de son Dictionnaire. La maison à la Semeuse n'est pas en reste. Déjà, Pierre Larousse alternait (indifféremment ?) les expressions « cérémonie funèbre », « monument funèbre » et « cérémonie funéraire », « monument funéraire » dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, où s'étaient en outre glissés au moins deux « honneur(s) funéraire(s) », deux « scène(s) funéraire(s) », deux « couronne(s) funèbre(s) », un « stèle funèbre » et un « urnes funèbres ». Cent cinquante ans plus tard, le Larousse en ligne perpétue la tradition : « Cérémonie(s) funèbre(s) » (aux articles « enterrer », « obsèques », « poêle », « sarcophage » et « tenture »), mais « Cérémonie funéraire » (aux articles « catafalque », « cénotaphe » et « funéraire ») ; « Dalle (funèbre), pierre recouvrant la tombe » (à l'article « dalle »), mais « Pierre, dalle funéraire, qui recouvre la tombe » (à l'article « funéraire »). La belle affaire, me rétorquera-t-on, nul n'est à l'abri d'une défaillance. Certes, mais il faut croire qu'en l'occurrence le malaise est plus profond.

    Pas interchangeables, funèbre et funéraire ? Un détour par la concurrence nous en ferait sérieusement douter :

    (TLFi) « Bûcher funèbre » (à l'article « bûcher »), mais « Bûcher funéraire » (à l'article « sati ») ; « Caveau funèbre, caveau funéraire » (à l'article « caveau ») ; « Cyprès funèbre, funéraire, funeste » (à l'article « cyprès ») ; « Fourgon mortuaire, funéraire, funèbre » (à l'article « fourgon ») ; « Lit funéraire ou funèbre » (à l'article « lit ») ; « Monument funéraire, construction érigée sur une sépulture ou à la mémoire d'un mort dont le corps est absent [...]. On relève en ce sens monument funèbre » (à l'article « monument ») ; « Rites funéraires » (à l'article « dépouille »), mais « Rites funèbres » (à l'article « funèbre ») ; « Tenture (funèbre, funéraire, mortuaire) » (à l'article « tenture ») ; « Torche funèbre, funéraire » (à l'article « torche »).

    (Robert en ligne) « Funèbre. Qui a rapport aux funérailles. Ornements funèbres. → funéraire, mortuaire », « Funéraire. Qui concerne le culte des morts, l'hommage rendu aux morts. → funèbre. Cérémonie funéraire. Urne funéraire ».

    (Dictionnaire du moyen français) « Cérémonie funèbre » (aux articles « chapelle », « claie », « obsèque[s] »), mais « Cérémonie funéraire » (à l'article « service ») ; « Cortège funèbre » (à l'article « échelette »), mais « Cortège funéraire » (aux articles « convoi », « convoyer ») ; « Service funèbre » (par exemple aux articles « mortuaire », « obsèque[s] »), mais « Service funéraire » (par exemple aux articles « obit », « officier »).

    Dupré lui-même convient que les adjectifs « sont à peu près synonymes » en dehors des emplois discriminants qu'il a préalablement pris soin de lister. Sans doute serait-il surpris de constater que des auteurs, même scrupuleux, ne tiennent pas toujours compte de ces restrictions : « hommage(s) funéraire(s) » se trouve chez Jules Lacroix (1849), Jules Claretie (1868), Albert Thibaudet (1912) et Laurent Gaudé (2002) ; « veillée funéraire », chez Henry Gréville (1892), Pierre Loti (1908), Roger Gilbert-Lecomte (1939), Henri Lopes (1997) et dans le Dictionnaire des dictionnaires (1892) ; « scènes funéraires », chez Louis-Nicolas Bescherelle (1851) et Édouard Herriot (1930) ; « couronne(s) funèbre(s) », chez Alexandre Dumas (1853), Villiers de L'Isle-Adam (1888), Alphonse Daudet (avant 1897), Jules Claretie (1907), Henry Bordeaux (1936) et Muriel Cerf (1984) ; « fleurs funèbres », chez André Malraux (1965) − c'est le bouquet (final) !
    De même, c'est la mort dans l'âme que je me dois de signaler à Girodet que, sous la plume des écrivains, ses « expressions consacrées » ne sont pas aussi figées qu'il le croit : « chant(s) funéraire(s) » se trouve chez Gérard de Nerval (avant 1855) et Charles Péguy (1900) ; « jeux funéraires », chez Mme de Staël (1811), Mallarmé (1880) et dans la Grande Encyclopédie Larousse (1976) ; « pompe funéraire », chez Chateaubriand (1824), Jules Michelet (1847), Albert Camus (1947) et Marc Fumaroli (2003) (5) ; « cérémonie(s) funéraire(s) », chez Benjamin Constant (1813), Alexandre Dumas (1842), Christiane Desroches Noblecourt (1963), Claude Lévi-Strauss (1967) et dans le Robert en ligne ; « honneurs funéraires », chez Abel Hermant (1938) et Robert Sabatier (1967) ; « service funéraire », chez Louis-Nicolas Bescherelle (1845), Sainte-Beuve (1848), Edmond Jaloux (1942), Christiane Desroches Noblecourt (1963) et Marc Dugain (1998) ; « discours funéraire(s) », chez Sainte-Beuve (1867), Henri-Frédéric Amiel (1870) et Georges Simenon (1976) ; « éloge(s) funéraire(s) », chez Népomucène Lemercier (1810), Maurice Ourry (1834), Marie Cardinal (1975) et Patrick Roegiers (2020) ; « urne(s) funèbre(s) », chez Alexandre Dumas (1862), Henri de Régnier (1897), Anatole France (1912), Gaston Leroux (1922) et Roger Peyrefitte (1977) ; « dalle funèbre », chez Louis Énault (1855), Villiers de L'Isle-Adam (1889), Henry Bordeaux (1941) et Marcel Schneider (1974) ; « stèles funèbres », chez Maurice Barrès (1917), Émile Henriot (1935) et Yvonne Escoula (1968) ; « ornement(s) funèbre(s) », chez Louis Carpentier (1822), Jules Claretie (1878), Paul Nizan (1933), André Cherpillod (2002) et dans le Robert en ligne. Il n'y a guère que marche funèbre (dans son acception musicale) et frais funéraires qui tirent leur épingle du jeu − encore que le premier se rencontre chez Alexandre Dumas : « La musique jouait la marche funéraire de Beethoven » (La Terreur prussienne, 1867) et chez plus d'un musicologue : « Spontini, marche funéraire de la Vestale » (François-Auguste Gevaert, Traité général d'instrumentation, 1863), « Grieg utilise des bribes de la Marche funéraire pour Rikard Nordraak et des deux marches funèbres de Bergliot » (Jean-Luc Caron, Edvard Grieg, 2003) (6), et que le second soit copieusement attesté jusqu'au début du XVIIIe siècle : « Frais funebres ou mieux funeraires » (Supplément au Dictionnaire œconomique, 1743).

    Vous l'aurez compris : aucun avis définitif ne peut être émis dans cette affaire sans que son auteur coure le risque d'être pris en défaut.
    Jean Girodet tient funéraire pour moins littéraire que funèbre ? On lui opposera Prosper Poitevin : « C'est pour donner à sa pensée une forme moins vulgaire que Victor Hugo a employé funéraire au lieu de funèbre dans "J'accompagnais de loin les pompes funéraires" » (Grammaire générale et historique, 1856) ou Paul Dupré : « Dans la citation de José-Maria de Heredia : les femmes de Byblos en lugubres accents / Mènent la funéraire et lente théorie, funèbre serait le mot banal, de valeur plus morale que rituelle, que [l'auteur] a voulu éviter en employant un terme qui évoque davantage la liturgie et moins les sentiments. »
    Jean-Paul Colin affirme que funéraire ne saurait s'employer au figuré ? Il n'est que de consulter le TLFi pour se persuader du contraire : « Les impressions pénibles, déprimantes, funéraires semblent se concerter pour me donner la sérénade » (Henri-Frédéric Amiel, 1866), « Villes mortes, funéraires, dépeuplées » (Maxence Van der Meersch, 1935) (7).
    Joseph de Miribel dénonce l'emploi de cortège funéraire, convoi funéraire au lieu de cortège funèbre, convoi funèbre ? Tel n'est pas l'avis du TLFi (nous l'avons vu) et du Robert en ligne, qui laissent prudemment le choix, ni de Bernard Cerquiglini (Le Sens des mots, 2018), qui distingue le convoi funéraire (qui transporte le corps du défunt) du cortège funèbre (ensemble des personnes qui suivent le cercueil).

    Allez vous étonner, devant pareille cacophonie, que le commun des mortels ne sache plus à quel saint se vouer : « Ça doit être ce qu'on appelle des préarrangements funèbres... funèbres ou funéraires qu'il faut dire ? » (Madeleine Robitaille, 2011), « Des espèces de célébrations funèbres ou funéraires − je ne sais pas comment on dit » (Yann Andréa, 2016). J'entends d'ici les recommandations... d'usage : « C'est l'usage qui détermine l'emploi de l'un ou de l'autre » (Irène Nouailhac, 2006), « C'est l'usage qu'il faut retenir » (Jean Pruvost, 2017), « On se conformera à l'usage pour autant qu'il n'est pas désavoué par les spécialistes de la langue » (Pierre-Valentin Berthier et Jean-Pierre Colignon, 2017).
    Vous, je ne sais pas, mais moi, je suis partagé entre deux réactions : pousser un (dernier) soupir en faisant une tête d'enterrement ou bien... mourir de rire.
     

    (1) Hanse, une fois n'est pas coutume, verse dans le même travers : « Funèbre se dit d'un éloge, d'un convoi, d'un cortège, d'une cérémonie, d'un air, d'une veillée, d'un silence, d'une marche, etc., mais non d'une notice nécrologique ni d'une couronne funéraire » (Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, 1983). Pour les explications, on (t)repassera...

    (2) Carpentier donne trois exemples : « De ce jeune héros la pompe funéraire » (Hyacinthe de Gaston, traduisant L'Énéide, 1807), « Du noble Arthur c'est le char funéraire » (Évariste de Parny, 1807), « Du héros la couche funéraire » (Charles-Hubert Millevoye, 1812), auxquels on peut ajouter : « Un mot d'oraison funéraire » (Marivaux, 1716), « Éloges funéraires De tant de rois vulgaires » (Voltaire, 1740), « Le morne aspect des pompes funéraires » (Pierre Laurent de Belloy, 1772), « D'un ami la pompe funéraire » (Jean-François de La Harpe, avant 1803), « Des bûchers les flammes funéraires » (Pierre-Jacques-René Denne-Baron, 1806), « Es-tu vase funèbre [...] ? » (Baudelaire, 1857), « L'heure amoureuse et funéraire » (Pierre Fons, 1904), « [Des masses] de clairs et d'obscurs quasi funéraires » (Apollinaire, 1914) et les citations de Hugo et de Heredia.

    (3) Quelque dix ans plus tard, Daniel mitigera sensiblement son opinion : « Pour faire ressortir la différence de ces synonymes par une explication succincte, mais suffisante, je dirai : funèbre, triste, lugubre, qui annonce la mort ; funéraire, qui concerne les funérailles ou le tombeau, qui fait partie du mausolée. La chose funèbre se voit à la couleur, au ton, à l'air lugubre. La chose est funéraire par son emploi ou sa destination. Ainsi, on dit le bûcher funéraire, les flammes funéraires, un vase funéraire, et non pas un bûcher funèbre, des flammes funèbres, un vase funèbre » (Leçons de français, 1837).

    (4) On rencontre aussi dans ces emplois l'ancienne forme funéreux : « Convoy funereux » (Nicolas de La Chesnaye, 1518), « Pompes funereuses » (Jean Bouchet, 1527), « Funereux lambeaulx » (Charles de Bourdigné, 1532), « Fraictz funereux » (Contrat de mariage de Claude de Chouvigny, 1576).

    (5) Signalons également cette observation de Michel Massian : « Funèbre, qui fait penser à la mort, lugure : un air funèbre. Funéraire, relatif aux funérailles, aux tombeaux : des articles funéraires. Les pompes funèbres sont donc, en réalité, des pompes funéraires » (Et si l'on écrivait correctement le français ?, 1985).

    (6) Signalons également cette observation d'André Moufflet : « L'autre jour, j'entendais quelqu'un dire : "La marche funéraire" de Chopin. J'ai souri, à tort peut-être [si l'on s'en tient aux définitions de] Littré. »

    (7) Et aussi : « Une espèce de clarté triste, funéraire » (Anatole Le Braz, 1905), « La silhouette agitée et funéraire du vieux Bob » (Gaston Leroux, 1908), « Sa grande automobile noire, funéraire » (Jacques Audiberti, 1958), « Cette beauté "trop austère, trop triste, funéraire" » (Jean Thibaudeau, 1960), « [Malraux] n'a jamais pu mettre en scène que des silhouettes funéraires, saisies par le roman à la veille de leur anéantissement » (Bernard-Henri Lévy, 1979), « Falaise noire, funéraire » (Bertrand Visage, 1984), « La vie est un grand champ lugubre et funéraire » (François Reynaert, 2006).

    Remarque 1 : Selon le linguiste Henri Frei, funéraire fait partie de ces « néologismes [formés en réaction contre] le "galvaudage" des adjectifs de relation par la langue expressive » (La Grammaire des fautes, 1929). Autrement dit, c'est parce que funèbre « qui se rapporte aux funérailles (funus) » (sens propre relationnel) en est venu à être employé comme un simple qualificatif au sens figuré de « sombre, lugubre, qui évoque l'idée de la mort » que la langue technique et administrative aurait sorti des limbes le suffixé en -aire.

    Remarque 2 : Le TLFi fait preuve d'inconséquence en rangeant l'expression urne funéraire sous l'acception « qui est relatif, qui a rapport aux funérailles », dans le corps de l'article qu'il consacre à l'adjectif funéraire, mais sous l'acception « relatif aux tombes, aux cimetières » (à laquelle Joseph de Miribel fait référence), dans la rubrique étymologique et historique, avec une citation de Mme de Staël en guise de première attestation : « Le froid et l'isolement du sépulcre sous ce beau ciel, à côté de tant d'urnes funéraires » (Corinne, 1807). La chose est d'autant plus incompréhensible que « urne funéraire » figure dans le Dictionnaire des arts et des sciences de Thomas Corneille et dans la seconde édition du Dictionnaire de Furetière, publiés respectivement en... 1694 et 1701 !

    Remarque 3 : Dans Fautes de langage corrigées (1832), Alphonse Guillebert observe que convoi, dans son acception spéciale de « cortège d'un corps qu'on porte à la sépulture », « traduit, sans épithète, le funus des latins ». Partant, le mot n'a nul besoin de funèbre ni de funéraire à son chevet : « Les morts vont au tombeau par immenses convois » (Lamartine, 1835), « Le convoi fut mené par toute une famille en larmes » (Balzac, 1847), « Le convoi blanc d'un enfant (Jules de Goncourt, 1869).

    Remarque 4 : Pour ne rien simplifier, d'autres adjectifs viennent jouer les trouble-fête. Que l'on songe à mortuaire, cinéraire, mais aussi à tombal, sépulcral... Cette concurrence donne lieu à de nouveaux raffinements : « Si proches parents qu'ils soient, les adjectifs mortuaire et funéraire ne sont pas interchangeables. Tout ce qui est relatif aux morts, les formalités, les cérémonies, est mortuaire. Tels sont, entre autres, le registre, le drap, le masque. Tout ce qui a trait aux funérailles, les frais, la pompe, le monument, est funéraire ou funèbre » (journal québécois Le Devoir, 1962). Un croque-mort n'y retrouverait pas ses petits macchabées.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou, plus fréquemment (?), lors de la cérémonie funèbre.

     

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  • Commentaires

    1
    Michel Jean
    Vendredi 16 Février à 18:56

    Bonjour M. Marc, CNRTL s’y prend mal (une pelle !) avec funéraire et funèbre dans la rubrique synonyme.

    2
    Chambaron
    Lundi 19 Février à 10:35
    Chambaron

    Très intéressant, comme toujours, et riche d'enseignements.

    Vous soulignez fort bien que le mot principal (et presque unique) au Moyen Âge est funéral. C'est d'ailleurs celui que nous avons exporté en Angleterre (XIIe siècle) et qui perdure en anglais (cf. les funeral parlours).

    Comme nous à la Renaissance, les anglophones n'ont introduit des variantes que tardivement : funebrial (vers 1600) et funereal (1725), alors qu'ils ne nous empruntaient alors plus rien directement [source OED].

    Cela permet à mon sens de subodorer une ligne de partage des sens, introduite par le développement des cérémonies à ces époques. Le funéral (funéraire) reste attaché à tout ce qui est matériel et lié aux opérations, le funèbre dérive vers le sens abstrait et l'évocation de ce moment (typiquement l'oraison).

    Comme ce glissement a été inconscient et mal formalisé, les deux se sont chevauchés et continuent de le faire, d'où la confusion des utilisations que votre article constate.

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