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    FlècheCe que j'en pense


    Entendue hier midi dans un message publicitaire, cette prononciation tirée par les cheveux : tandiske. Avouez qu'il y a de quoi être un poil perplexe, car enfin, ce n'est pas parce qu'un mot se termine par un s que celui-ci doit être prononcé comme s'il était uni à la consonne initiale du mot suivant. Viendrait-il à quiconque l'idée échevelée de dire alorske pour alors que ou dèske pour dès que ? Les esprits rétifs à celle de se faire sécher sans broncher me rétorqueront, et avec quelque apparence de raison, que ledit s se prononce bien dans lorsque, presque, puisque ; alors pourquoi pas dans tandis que ? De cette bizarrerie, le linguiste Philippe Martinon nous souffle l'explication : « Par analogie [avec les mots où il précède une consonne], l's se prononce depuis longtemps dans lorsque, presque, puisque, malgré l'étymologie lor(s), prè(s), pui(s), parce que les éléments se sont fondus en un mot unique, comme dans jusque ; mais tandi(s) que n'est pas dans le même cas, les composants étant encore distincts : il vaut donc mieux éviter d'y prononcer l's » (Traité de prononciation, 1913).

    Force est de reconnaître qu'il n'en fut pas toujours ainsi : à la fin du XVIIe siècle, l'abbé Pierre Danet n'écrivait-il pas dans ses dictionnaires tandisque en un mot, légitimant de facto la prononciation avec s sonore ? Quel toupet ! Renseignements pris, le cas est isolé, en regard des nombreux spécialistes de mèche avec Martinon : « La lettre s est muette dans tandis que » (Girault-Duvivier), « Quelques-uns prononcent tan-di-ske ; ce qui est moins bon que tan-dike » (Littré), « Ne faites pas entendre l's dans tandis que » (Grevisse), « La prononciation tandiske est peu admise par l'usage soigné » (Dupré), « Tandis que se prononce généralement sans faire sentir l's » (Thomas), « Le -s est muet » (Girodet), « Mieux vaut ne pas prononcer s » (Hanse), « Il est recommandé de ne pas faire entendre la consonne finale » (Jacques Capelovici), « On ne devrait pas prononcer le s » (Bescherelle). Seuls laissent le choix entre les deux prononciations Larousse et l'Office québécois de la langue française − ce dernier concédant toutefois que « la majorité des ouvrages recommandent de ne pas prononcer le -s de tandis ».

    Vous l'aurez compris : le locuteur soucieux de sa langue et de ses cheveux évitera de s'en faire... en s'en tenant prudemment à la prononciation tandike.

    Remarque : Tandis est emprunté de l'adverbe latin tamdiu, de tam (« aussi, autant ») et diu (« longtemps »), d'où « aussi longtemps ». Le s final est qualifié d'adverbial : il a été ajouté en français vers le XIe siècle, sans doute par analogie avec la graphie d’adverbes comme certes, plus, pis, volontiers, où le s était étymologique. Jusqu’au XVIIe siècle, tandis pouvait s'employer seul (sans que) comme adverbe, au sens de « pendant ce temps » : « Et tandis il m'envoie / Faire office envers vous de douleur et de joie » (Racine). Cet emploi, condamné en son temps par Vaugelas, est complètement sorti de l'usage. De nos jours, tandis ne s’utilise plus qu'en corrélation avec que, suivi de l'indicatif ou du conditionnel, pour marquer l'opposition (Elle aime l'opéra, tandis que lui préfère le jazz) ou la simultanéité (Tandis qu'il sommeillait, elle est allée se promener).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Tandis / que.

     


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  • « Les PME sont étouffées par les donneurs d'ordre géants, dirigeants et rentiers protégeant leurs émoluements. »
    (Henri de Bodinat, dans son livre Les Sept Plaies du capitalisme, paru aux éditions Léo Scheer)



    FlècheCe que j'en pense


    Girodet, qui n'a pas pour habitude de nous rouler dans la farine, est catégorique : « Ne pas écrire émoluement. » C'est que le mot, contrairement à la plupart des noms en -ment (dénuement, engluement, éternuement, remuement, etc.), n'est pas dérivé d'un hypothétique verbe émoluer (1), mais du latin emolumentum (lui-même issu de molere, « moudre ») qui se disait de la somme payée au meunier pour moudre le grain, d'où « avantage, profit, intérêt, gain ». Rien ne justifie donc ici la présence d'un e muet intercalaire. La faute est pourtant attestée de longue date (esmoluement, 1366), si l'on en croit le Dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy.

    Six siècles plus tard, force est de constater qu'il reste encore du pain sur la planche pour éradiquer cette lettre superfétatoire. Jugez-en plutôt : « [D'Alembert] juge insuffisants les émoluements que lui attribuent les libraires » (Jeanne et Michel Charpentier, L'Encyclopédie, 1967), « Gain, émoluement » (Guy Robert, Mots et dictionnaires, 1972), « Les émoluements des patrons du CAC 40 » (La Tribune), « leurs émoluements » (Le Monde), « les émoluements du chef de l’État » (Europe 1), « toucher de confortables émoluements » (Libération), « [les] émoluements dus au notaire » (Journal officiel du Sénat).

    L'orthographe, au demeurant, n'est pas le seul écueil que nous réserve ledit substantif masculin : il reste à traiter la délicate question du nombre. Les spécialistes s'accordent à dire de nos jours qu'émolument ne s'emploie plus au singulier que dans la langue juridique, pour désigner la part d'actif attribuée à un héritier, à un légataire universel ou à un époux commun en biens : Émolument de succession. Celui qui a l'émolument est tenu de payer les charges. C'est le pluriel qui s'impose dans l'acception générale de « rétribution, rémunération », que ce soit à propos d'un officier ministériel (huissier, commissaire-priseur...) pour un acte de son ministère ou, par extension, d'un employé, spécialement d'un fonctionnaire (2) : « [La Chambre] ne réduisait pas ignoblement les émoluments ministériels » (Honoré de Balzac), « Les émoluments des membres de la Commune étaient de quinze francs par jour » (Louise Michel), « Mopse, pour tous émoluments, longtemps vécut / De coups de pieds au cul » (Paul-Jean Toulet). Quelques rares plumes contemporaines s'évertuent pourtant à maintenir le sens étymologique dans des emplois au singulier : « La brodeuse acceptait de recevoir pour tout émolument des entrées de faveur au théâtre » (Claude Duneton), « À la fin c'est énervant / De manquer obstinément / De cette sorte d'émolument » (René de Obaldia), « Souvent il n'exige aucun émolument pour la célébration d'un mariage ou d'un enterrement » (Michel Onfray). Histoire de ne pas apporter trop d'eau au moulin du changement ?

    (1) Pour autant, le verbe émolumenter s'est dit autrefois au sens d'« acquitter l'émolument dû pour telle chose ».

    (2) L'usage distingue, selon le genre d'activité et la catégorie sociale de l'intéressé, entre : appointements (d'un employé), dividendes (d'un actionnaire), émoluments (d'un notaire, d'un avoué), gages (d'un domestique), honoraires (d'un avocat, d'un médecin), allocation (d'un chômeur), indemnité (d'un parlementaire), paie ou salaire (d'un ouvrier), pension (d'un retraité), prêt (d'un soldat), solde (d'un officier), traitement (d'un fonctionnaire), etc.


    Remarque 1 : Selon le Dictionnaire de l'Académie, le terme émoluments, dans son emploi administratif, désigne l'ensemble des sommes perçues par un fonctionnaire, comprenant le traitement proprement dit, soumis aux retenues légales, et les indemnités ou allocations diverses. Dupré ajoute que « l'usage actuel distingue nettement entre le traitement, calculé par mois ou par année, et les émoluments, rétribution correspondant à un travail donné et non à une période de temps ».

    Remarque 2 : On raconte qu'Alphonse Allais, lorsqu'il était journaliste débutant, avait pris l'habitude chaque mois de venir réclamer « [s]on appointement », car, disait-il en considérant les quelques billets fraîchement émoulus de l'enveloppe : « Je ne vais quand même pas déranger le pluriel pour si peu de chose ! » L'anecdote serait tout aussi savoureuse avec émolument.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Dirigeants et rentiers protègent leurs émoluments.

     


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