• Un accord contestable

    « L'équipe de Soyaux-Angoulême [s'est imposée] sans aucun conteste sur le terrain. »
    (paru sur rugbyrama.fr, le 2 mars 2019)  

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond au royaume d'Ovalie. Car enfin, qu'on se le dise, conteste, déverbal de contester attesté depuis le XIVe siècle au sens de « débat, procès, discussion, dispute » (1), est du genre féminin. J'en veux pour preuve l'unanimité manifestée par les spécialistes de la langue (Académie, Littré, Grevisse, Hanse, Thomas, Girodet, Larousse, Robert, etc. [2]), ainsi que ces quelques exemples qui devraient couper court à toute contestation : « Le ressentiment, la conteste et la vengeance » (François de Sales, 1608), « Afin d'éviter toutes contestes et disputes » (Id., 1608), « La douce charité règne parmi vous, sans aucune conteste » (Id., 1623), « Il y eut grande conteste pour donner un successeur à l'évêque Geilon » (Pierre-François Chifflet, 1664), « Elle ne pouvoit souffrir la moindre petite conteste parmi ses filles » (Jacqueline Bouette de Blémur, 1670), « Après une conteste de plus d'un quart d'heure » (Jacques Pineton de Chambrun, 1687), « Hors de toute conteste » (Beaumarchais, 1777), « Ces réflexions souffrent de conteste sérieuse » (Maurras, 1898), « Dans maintes contestes » (Gide, avant 1951). Rien que de très logique pour le linguiste Guillaume Jeanmaire, qui rappelle que les déverbaux radicaux (constitués par le radical du verbe) ne sont féminins que lorsqu'ils ont un e pour désinence (3).

    Seulement voilà, observe Hanse, conteste est parfois traité abusivement comme masculin. Le bougre n'étant plus guère d'usage que dans la locution sans conteste (4), il est en effet devenu difficile d'en percevoir le genre, lequel se voit plus souvent qu'à son tour dopé à la testostérone : « Sans aucun conteste » (Émile Faguet, 1910), « Hors de tout conteste possible » (Paul Claudel, 1949), « [Il] se tenait neutre dans ce grand conteste » (Claude Cariguel, 1956), « Sans nul conteste » (Philippe Delorme, 2002), « Sans le moindre conteste » (Yann Moix, 2013). « Certains noms sont usités surtout ou uniquement dans des expressions dans lesquelles le genre est invisible, confirme André Goosse dans Le Bon Usage. Cela entraîne parfois des accidents quand des auteurs veulent faire sortir les mots de leur figement. Par exemple, conteste, féminin quand il n'était pas figé, se rencontre occasionnellement aux deux genres. » Oserai-je l'avouer ? L'argument, par ces temps de contestation sabbatine, ne me convainc qu'à moitié. C'est que l'hésitation sur le genre de conteste remonte à une époque (le début du XVIIe siècle, semble-t-il [5]) où l'intéressé n'était pas à ce point figé, justement. Aussi est-on fondé à supposer que d'autres facteurs ont pu contribuer à cette confusion, comme la combinaison avec l'adjectif grand − comparez : « Les vignerons [...] furent en grande conteste » (Louis Richeome, 1597), « Il y eut grand' conteste à deviner par où il faloit entamer une besongne si nouvelle » (Agrippa d'Aubigné, 1626 ; notez l'apostrophe) et « Il y eut des grands contestes » (Pierre de Boissat, 1612), « Agiter nos grands contestes » (Chateaubriand, 1848) − ou encore l'influence du paronyme masculin contexte (6).

    Mais là n'est pas la seule difficulté que nous réserve ledit nom. D'aucuns s'interrogent à bon droit sur la différence entre conteste et contestation. Et force est de reconnaître qu'elle brille... par sa subtilité. Jugez-en plutôt : « Conteste exprime défaut d'accord quant à l'idée et contestation quant au fait, lit-on dans le Dictionnaire des synonymes (1858) de Pierre-Benjamin Lafaye. Une chose nous appartient sans conteste, c'est-à-dire sans contestation possible, incontestablement. Une chose, une proposition est reçue sans contestation, c'est-à-dire sans qu'il s'élève effectivement aucune dispute, d'une manière incontestée. » Comparez : Il est, sans conteste, le plus grand écrivain de son temps (= sans contredit, sans discussion possible, sans qu'on puisse émettre un doute, incontestablement) et La proposition fut adoptée sans contestation (= sans opposition, sans débat). Mais, ajoute aussitôt le Larousse en ligne, « la locution sans contestation est synonyme de sans conteste si elle est suivie de l'adjectif possible » : Il est, sans contestation possible, le plus grand écrivain de son temps.
    Subtile, la langue française ? Sans aucune conteste !

    (1) « Clers [...] sount entre eux en contestz et en debatz » (Rotuli Parliamentorum, 1334), « Les débats et contestes » (Cartulaire de Laval, 1401), « Un article, lequel vous ne pouvez nier ny mettre en conteste » (Nicolas de Cholières, 1587). Selon Littré (et Gilles Ménage avant lui), « l'ancien français ne connaît pas le verbe contester et il a en place contrester (de contre et ester) » ; de là l'ancienne graphie contreste, attestée au XIIIe siècle chez Gontier de Soignies : « Si ke ja n'i ait contreste. »

    (2) Seul Prosper Poitevin, à ma connaissance, le tient pour masculin dans sa Grammaire générale et historique (1856). Mentionnons également cette incohérence relevée dans le Dictionnaire national (1845) de Louis-Nicolas Bescherelle : conteste, bien que donné comme nom féminin à son entrée, apparaît au masculin sous l'article « contestation » (« Le conteste est une simple difficulté, la contestation en est la manifestation »). Comprenne qui pourra...

    (3) Il ajoute : « La plupart des exceptions à cette règle (blâme, cintre, compte, etc.) présentent une finale qui requiert le masculin ou ont changé de genre » (L'Identification du genre grammatical en français, 2010).

    (4) Dès la fin du XVIIe siècle, conteste employé seul tombe en désuétude : « Il faut dire contestation et non pas [non plus ?] conteste » (Gilles Ménage, 1672), « Il ne se dit guère » (première édition du Dictionnaire de l'Académie, 1694), « Il signifie contestation, mais il n'est pas d'usage » (Dictionnaire de Richelet, édition de 1706), « Il était autrefois en usage » (Jean-François Féraud, 1788), « Vieux mot inusité » (Jean-Charles Laveaux, 1820), « Il est vieux » (sixième édition du Dictionnaire de l'Académie, 1835).

    (5) « Il y a fort grand conteste entre les Grecs et les Arabes » (Louis de Serres, 1624), « Pour fuir tout conteste » (Thomas Corneille, 1656), « Sans nul conteste » (Claude Clivier, 1676), « [Ils] promirent d'obeïr au sort sans aucun conteste » (Nouvelles de l'Amérique, 1678).

    (6) « Même si le mouvement [des "gilets jaunes"] a pu avoir des conséquences localement sévères, son impact macroéconomique à court terme a, sans contexte [sic], été plus faible que son retentissement politique et médiatique » (Le Figaro, mars 2019).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Sans aucune conteste.

     

    « Roman d'anticipationQuel c(u)lot ! »

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