• Pensée du jour

    Pensée du jour

    « Mais que pense l'Académie française sur la réforme de l'orthographe ? »
    (Michaël Bloch, sur lejdd.fr, le 16 février 2016) 

     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Nitot)

    FlècheCe que j'en pense


    La question paraît d'autant plus légitime que la valse-hésitation à laquelle se livre la Compagnie depuis 1990 n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Mais là n'est pas le sujet de cet article.

    Ce qui m'intéresse, en l'espèce, c'est le choix de la préposition : penser (quelque chose) sur (quelque chose). J'ai eu beau chercher à l'entrée « penser » des dictionnaires usuels à ma disposition, ladite construction est aux abonnés absents. Seul figure, parmi les emplois transitifs du verbe − et sauf erreur de ma part −,  le tour penser (quelque chose) de (quelque chose ou quelqu'un) : « Penser du bien, du mal de qqn, de qqch » (Robert illustré 2013), « Que pensez-vous de ce projet ? » (Grand Larousse de la langue française). Voilà qui est d'autant plus surprenant que la construction avec sur est attestée chez les meilleurs écrivains : « il va nous dire ce qu'il pense sur nos deux questions » (Bossuet), « voici ce que je pense sur vos études » (Boileau), « le monde se trompe dans ce qu'il pense sur mon sujet » (Fénelon), « que pense-t-il sur le mariage en question ? » (Marivaux), « chacun peut faire imprimer ce qu'il pense sur les affaires publiques » (Voltaire), « que pensez-vous sur l'origine du genre humain ? » (Rousseau), « À vous seule, madame, je dis ce que je pense sur tout » (Stendhal), « pour connaître ce qu'ils pensaient sur les intentions réelles du bonhomme » (Balzac), « Ce que je pense sur un homme n'est pas fonction de ce que cet homme pense sur moi » (Saint-Exupéry), « Ma foi est le couronnement de tout ce que je pense sur tout » (Claude Mauriac).

    À y regarder de plus près, le tour serait dûment consigné dans le Petit Robert : « Je ne peux pas lui dire tout ce qu'on pense sur lui » (cité par le TLFi) ; dans le Littré : « Vider son sac, dire tout ce qu'on pense sur un sujet » (à l'entrée « sac ») ; ainsi que dans le Dictionnaire de l'Académie : « On pense sur lui bien des choses fâcheuses » (huitième édition, à l'entrée « penser ») et « L'opinion publique, ce que le public pense sur tel ou tel sujet » (neuvième édition, à l'entrée « opinion »). Et c'est là que l'affaire se complique : car, si l'on en croit Dupré, lorsque le verbe penser, employé avec un objet direct au sens de « avoir pour opinion », est accompagné d'un complément d'objet indirect (ou second) déterminant ladite opinion, ce dernier est introduit « par de pour les personnes, par de ou sur pour les abstractions ou les choses ». Comparez : « ce qu'il pensait de Pierre (de lui) » et « ce que tu penses de ma robe, de (sur) la question ». Partant, on est en droit de s'interroger sur la pertinence de l'exemple du Robert et de celui de la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie, où (sur) lui renvoie... à une personne ! Le TLFi avance une explication : le tour avec sur se dirait également à propos d'une personne « par euphémisme, dans la langue familière ». Pensez donc ! Si tel était le cas, gageons que les académiciens auraient eu la présence d'esprit de faire précéder leur exemple d'une marque d'usage.

    Un autre détail me chiffonne : pourquoi Dupré, dans ses exemples, n'envisage-t-il le choix entre les deux prépositions que lorsqu'il est question... d'une question, justement, et pas d'une robe ? Cela donne plutôt à penser que le complément d'objet indirect serait introduit par de pour les choses (et pour les personnes), par de ou sur pour les abstractions (ou, plus précisément, pour les synonymes de affaire, point, question, sujet, etc.)... ce qui n'est pas loin d'être l'avis du TLFi :

    « [Avec compl. d'obj. indir. déterminé]

    α) [S'agissant d'une pers. ou d'une chose; avec compl. prép. de] Qu'est-ce que les autres allaient penser de lui ? (Genevoix).
    β) [S'agissant de choses, notamment abstr.; avec compl. prép. sur] C'étaient des choses dont on ne devait pas causer tout haut, personne n'avait besoin de savoir ce qu'ils pensaient là-dessus (Zola). »

    Il n'empêche : là encore, cette répartition ne me semble pas pleinement rendre compte des emplois cités plus haut. Libre à chacun de penser ce que bon lui semble, mais toute cette affaire mériterait sans doute d'être clarifiée par les spécialistes de la langue. 

    Remarque 1 : L'analogie avec le verbe dire ne vous aura pas échappé : « Dire du bien, du mal de quelqu'un. Dire son avis, son sentiment sur quelque chose » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Remarque 2 : On se gardera de toute confusion avec le tour penser sur + substantif, emprunté à la philosophie au sens de « exercer son jugement, faire une construction logique, élaborer une théorie à propos d'un sujet déterminé » : « Tout de suite il [Malebranche] eut son système en philosophie, une manière générale de penser sur Dieu, sur le monde, sur la nature » (Henri Massis).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Mais que pense l'Académie française des (ou sur les ?) propositions de rectification de l'orthographe ?

     

    « Quel cirque, ce flexe !La guerre du nénufar »

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  • Commentaires

    1
    Michel JEAN
    Vendredi 19 Février 2016 à 11:58

    Bonjour M. Marc, je n'ai trouvé que du lourd pour un sujet aussi intéressant relatif à votre art. : Les traits et les emplois de la préposition spatiale "sur". Revue Persée.

      • Vendredi 19 Février 2016 à 12:13

        Je vous remercie de ce lien. Hélas, il n'y est question que de l'emploi spatial de la préposition sur.

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