• Mots de ventre

    « Corentin est mort en 2014 à Nancy, des suites d'une opération de l'appendicite pendant laquelle les erreurs des chirurgiens se sont accumulées. »
    (paru sur lexpress.fr, le 30 août 2016) 

     
     

    FlècheCe que j'en pense


    La remarque pourra paraître dérisoire au regard du drame que constitue pour une mère (autant que pour un père, cela va sans dire) la perte du fruit de ses entrailles, mais enfin, appendicite désignant proprement l'inflammation de l'appendice du cæcum (petite partie creuse en forme de doigt de gant, qui prolonge le gros intestin), il m'a toujours paru incongru de parler de l'opération de la première alors que, de toute évidence, c'est de celle du second qu'il s'agit. Comparez : une crise d'appendicite, diagnostiquer une appendicite, mais l'inflammation, l'ablation, l'opération de l'appendice. Girodet, quand il serait spécialiste de la langue plus que de l'intestin, dénonce cette regrettable confusion entre la maladie et l'organe : « En cas d'appendicite, on procède à l'ablation de l'appendice. [...] Le tour opérer de l'appendicite est [donc] déconseillé. » Même mise en garde du côté du Larousse en ligne : « En dépit de l'usage courant, préférer opérer de l'appendice à opérer de l'appendicite, surtout dans le style soigné » et du Bescherelle pratique : « On souffre d'une appendicite, mais on se fait opérer de l'appendice ».

    Las ! les contrevenants pourront toujours se donner bonne conscience en se réclamant de l'Académie, qui est bien la seule, sur ce sujet, à vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes : « Familier. Se faire opérer de l'appendicite », peut-on lire dans la dernière édition de son Dictionnaire. Oserai-je avouer que ces querelles intestines me mettent la rate au court-bouillon ?

    Remarque 1 : La palme de l'inconséquence, dans cette affaire, revient sans conteste au Dictionnaire du français de Josette Rey-Debove. N'y lit-on pas à l'entrée « appendicite » cet avertissement des plus limpides : « On entend souvent dire, en France, de façon erronée "on m'a opéré de l'appendicite". Il faut dire "on m'a enlevé l'appendice" », aussitôt oublié aux entrées « apparent » : « L'opération de l'appendicite laisse sur le ventre une cicatrice apparente » et « opérer » : « Elle a été opérée de l'appendicite » ?

    Remarque 2 : Après avoir longtemps fluctué, le genre du mot appendice (prononcé a-pin-disse) est aujourd'hui le masculin (un appendice volumineux), quand appendicite est du féminin.

    Remarque 3 : Appendice, emprunté du latin appendix (« supplément »), désigne plus généralement toute partie qui semble ajoutée à une plus grande dont elle constitue le prolongement (appendice caudal, nasal...) et, spécialement, le supplément placé à la fin d'un livre et qui contient des notes, des documents.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il est mort des suites d'une opération de l'appendice, d'une ablation de l'appendice ou, plus savamment, d'une appendicectomie.

     


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  • « Comme Kahena, [reine berbère] féministe avant l’heure, les créatrices ici réunies ne s’en laissent pas compter. »
    (Roxana Azimi, sur lefigaro.fr, le 1er août 2016) 

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Au commencement − disons au XIe siècle pour compter large − était le verbe conter qui, à l'instar du latin computare dont il est issu, cumulait les sens de « calculer, compter » et de « narrer, relater » : « Conter les jorz », « N'onques plus conter n'en oï » (Chrétien de Troyes). D'après le Dictionnaire historique de la langue française, « le lien entre ces deux notions, souvent confondues dans la mentalité médiévale, est l'idée commune de "énumérer, dresser des listes" ». Tout bien compté, faire le récit détaillé d'une histoire ne revient-il pas, peu ou prou, à en énumérer les faits, à en faire un... compte rendu ?

    Après l'apparition, au XIIIe siècle, du doublet savant compter refait d'après le latin computare, les deux formes, un temps concurrentes (1), vont finir par être utilement différenciées : à compter le sens de « calculer, dénombrer » et à conter celui de « relater un fait en énumérant ses différentes circonstances » et, spécialement, de « dire des choses fausses à dessein de tromper », comme dans les locutions en conter de belles, en conter à quelqu'un et... s'en laisser conter (« se laisser abuser par de belles paroles »).

    N'allez pas croire que je vous raconte là des histoires. Il n'est que de consulter un dictionnaire pour se persuader que la graphie de cette dernière expression a davantage à voir avec l'énumération des faits − fussent-ils trompeurs − qu'avec celle des chiffres : « Il ne s'en laisse pas conter » (Petit Robert), « Ne t'en laisse pas conter » (Petit Larousse illustré), « Tu peux me raconter ce que tu veux, mais je ne m'en laisse pas conter » (Dictionnaire du français de Josette Rey-Debove), « Elle s'en laisse conter, elle aime à s'en faire conter » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Aussi s'étonne-t-on de compter des plumes académiciennes parmi les (nombreux) contrevenants (2) : « Bébé ne s'en laisse pas compter » (Maurice Rheims), « C'est d'ailleurs ce qu'a bien compris feu le président Mao, qui, en matière de timonerie, ne s'en laissait compter par personne » (Maurice Druon).

    Toujours est-il que la confusion entre nos deux homophones (3), excusable au regard de l'étymologie, n'en demeure pas moins condamnée, de nos jours, par les spécialistes de la langue : « Conter. Ne pas écrire comme compter, dénombrer » (Girodet), « Conter. Ne pas confondre avec compter » (Bescherelle). Las ! ce ne serait pas la première fois que leurs mises en garde ne comptent ni plus ni moins que pour du beurre.

    (1) « On trouve souvent dans des textes anciens conter et compter [ainsi que leurs dérivés] confondus », observe Littré. Témoin ces exemples glanés, pour la plupart, dans des dictionnaires d'ancien français : « [Il] luy feit un tel compte : Du temps que le grand dieu Jupiter [...] » (Jacques Amyot, traduisant Plutarque), « La dame dont vous m'avez compté, Sire, [...] qui est-elle ? » (Miracles de Nostre Dame par personnages, vers 1343), « Enmi la cité dont je compte / Avoit .V. fontaines par compte » (Guillaume de Machaut), « Pathelin, en contant sur ses dois » (La Farce de Maistre Pathelin, milieu du XVe siècle), « Si tu peux me conter les fleurs du printemps » (Ronsard), « Parmi les Pelletiers, on conte des Corneilles » (Boileau), « Sans conter l'intérêt général que nous y prenons » (Boileau et Racine). Le constat s'applique encore aux écrits du XVIIIe siècle, si l'on en croit Féraud : « Plusieurs, et Le Gendre entre autres, mettent conter pour compter : Jusqu'à quel point on y peut conter. »

    (2) Et aussi : « Connaître le dessous des cartes, ne rien ignorer d'une situation, ne pas s'en laisser compter » (Dictionnaire d'expressions idiomatiques de Daniel-Gilles Richard), « Ce ne sont pas ces deux-là qui s'en laisseront compter » (Yves Moraud), « Faut souvent lui régler ses comptes, à l'étymologie, qui [...] s'en laisse pas compter » (Jean-Paul Manganaro), « Il est clair que cette gamine ne s'en laissera pas compter » (Bruno Tessarech), « Les bénévoles plus rodés ne s'en laissaient pas compter » (Alain Monnier), « Jade, cette amante soumise qui me portait aux nues, est devenue une sœur rebelle qui ne s'en laissait plus compter » (Marc Boulet), « Ne nous en laissons pas compter » (Véronique Ovaldé).

    (3) Le p de compter « ne se prononce pas », lit-on dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie.

     

    Remarque : Quand elle prendrait des airs de petit conte, la comptine doit sa graphie au fait que les enfants qui l'entonnent désignent, en comptant les syllabes, celui qui aura un rôle particulier dans le jeu.


    Voir également le billet Compter sans / compter sur.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Elles ne s’en laissent pas conter.

     


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