• « On vous raconte le premier grand oral télévisuel d'Edouard Philippe. »
    (sur lejdd.fr, le 29 septembre 2017)

     

    Édouard Philippe, source assemblee-nationale.fr

     

      FlècheCe que j'en pense


    Télévisé, participe passé de téléviser, s'emploie comme adjectif au sens de « transmis, diffusé par la télévision 
    » : un débat télévisé, le journal télévisé. Il convient de le distinguer de l'adjectif télévisuel, nettement moins courant, qui signifie « relatif, propre à la télévision, en tant que moyen d'expression » : le langage télévisuel, une émission qui présente de réelles qualités télévisuelles. Une phrase extraite du livre de Marie-Françoise Lévy, La Télévision dans la République (1999), illustre bien la différence sémantique entre les deux paronymes : « Le journal télévisé constitue un genre télévisuel à part. » Pas sûr, en revanche, que les rares exemples d'emploi (à ce jour) de l'adjectif télévisuel dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie soient de nature à éclairer le commun des téléspectateurs : « Partie d'un programme radiophonique, télévisuel, etc. » (à l'entrée « plage ») et, au féminin, « une émission radiophonique ou télévisuelle » (aux entrées « prise », « réalisation » et « réaliser »). Car enfin, ne parle-t-on pas usuellement, aux étranges lucarnes, d'un programme télévisé, d'une émission télévisée ? Le trouble s'accentue au fur et à mesure de la consultation dudit ouvrage. Jugez-en plutôt : « une émission radiophonique ou télévisée » (aux entrées « bruitage », « chroniqueur », « passer », « preneur », « présentateur », etc.), mais « une émission radiodiffusée, télévisée » (aux entrées « émission », « présenter », « recevoir »). Avouez que tout cela manque singulièrement de conséquence, tant la logique voudrait qu'au couple télévisé/télévisuel correspondît, sur d'autres ondes, le couple radiodiffusé/radiophonique.

    Qui a dit que la télé rend fou ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le premier grand oral télévisé d’Édouard Philippe.

     


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  • « Pour tenter de faire infléchir les cadres du parti présidentiel, Tiphaine Beaulieu et ses "marcheurs en colère" ont décidé d'écrire à l'Élysée et à Matignon. »
    (sur valeursactuelles.com, le 9 septembre 2017)

     

      FlècheCe que j'en pense


    Formé au XVIIIe siècle sur le modèle de fléchir/flexion pour servir de correspondant verbal à inflexion, lui-même issu du latin inflectere (« courber, plier, infléchir ; faire dévier »), le verbe infléchir est à l'origine un terme d'optique, surtout employé à la forme pronominale avec le sens de « dévier » (des rayons lumineux qui s'infléchissent) ou comme participe passé adjectivé (des rayons infléchis). Dans la langue courante, il signifie « fléchir insensiblement, courber, faire ployer » − il peut alors être synonyme de fléchir : fléchir ou infléchir une branche d'arbre (*) − et, par extension, « écarter un objet en mouvement de sa direction initiale, en modifier l'orientation » (infléchir la course d'un navire, la trajectoire d'une fusée), d'où, figurément, « influer sur l'évolution, modifier la tournure de quelque chose » (infléchir le cours des choses, la politique du gouvernement). Partant, on pourra infléchir un comportement, une décision, un projet... mais pas une personne. Avec un complément animé, il convient de recourir à fléchir, non pas dans son sens usuel de « plier, courber » − en faisant jouer les muscles (fléchir les genoux) ou sous une charge, une pression, un effort (une poutre qui commence à fléchir) −, mais dans son sens figuré de « faire céder peu à peu (quelqu'un), lui faire perdre un sentiment ou une attitude de fermeté, de dureté, l'amener à une meilleure compréhension » : « Vostre filz un cuer de pierre a. Il n'est nul qui le puist flechir » (Miracle de Barlaam et Josaphat, XIVe siècle), « Quel moyen puis-je avoir de vous fléchir ? quelle expiation, quel sacrifice puis-je vous offrir ? » (Musset), « Il allait se dénoncer au pape, l'implorer, le fléchir » (André Gide), « Et Gandhi choisit de ne pas manger pour fléchir son adversaire » (Paul Ricœur), « Peut-être il arriverait à fléchir cette âme rebelle » (Georges Duhamel) et, absolument, « Pécuchet avait sermonné Bouvard ; ils allaient fléchir » (Flaubert), « Quoi qu'on fasse, je ne fléchirai pas » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). J'en veux également pour preuve la définition de l'adjectif inflexible dans son emploi figuré : « Qu'on ne peut faire fléchir, que rien ne saurait émouvoir, ébranler ni abattre » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) − notez le choix du verbe : fléchir et non pas infléchir.

    Seulement voilà, il n'aura pas échappé aux esprits les plus observateurs que fléchir, à en croire le TLFi et l'Académie, se dit également « par métonymie » à propos d'un sentiment, d'une attitude, au sens figuré et littéraire de « faire perdre en rigueur, en intensité, ou faire céder, relâcher » : « Ni les instances de la Duchesse, ni les prières de l'enfant ne purent fléchir la fermeté de la Religieuse » (Bossuet), « Rien ne pouvait fléchir sa rigueur » (Maupassant), « Toi seul pourras fléchir l'intransigeance de son père » (Henry de Monfreid), « Fléchir la dureté, la cruauté d'un tyran » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Dès lors, pourquoi refuser le chemin inverse à infléchir ? Pourquoi l'objet dudit verbe ne pourrait-il passer, à la faveur d'une métonymie « en marche arrière », du comportement à la personne elle-même, je vous le demande ? Virgile, déjà, n'hésitait pas à employer le verbe inflectere au sens figuré de « fléchir, faire céder, émouvoir » : « Solus hic inflexit sensus [Il est le seul à avoir ému mes sens] ». On ne s'étonnera donc pas de constater, quelque vingt et un siècles plus tard, que notre journaliste n'est pas le seul à avoir cédé à la tentation : « Avoir à l'usure (quelqu'un) : Le pousser à bout pour l'infléchir » (Dictionnaire d'expressions idiomatiques), « Elle a tenté tout l'été de faire infléchir Marine Le Pen » (Libération), « Réunion d'urgence à Bruxelles pour infléchir Angela Merkel » (Le Monde), « Macron va tenter d'infléchir Trump » (Marianne), « L'Allemagne et la France espèrent faire infléchir le président russe sur le dossier syrien » (RFI). Gageons qu'il sera difficile d'infléchir la tendance...

    (*) Mais on distinguera les constructions suivantes : Les étagères de la bibliothèque fléchissent sous le poids des livres et Les étagères de la bibliothèque s'infléchissent sous le poids des livres.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Pour tenter d'infléchir la politique, la position des cadres du parti présidentiel.

     


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  • « Le RB Leipzig jouit d'une réputation désastreuse : celle du club [de football] le plus détesté d'Allemagne. »
    (sur orange.fr, le 13 septembre 2017)



      FlècheCe que j'en pense


    Jouir, nous dit-on, est issu, par l'intermédiaire du latin vulgaire gaudire, du latin classique gaudere, qui signifie « se réjouir intérieurement, éprouver une joie intime ; se plaire à, se complaire dans ». Partant, le verbe ne peut se prendre qu'en bonne part, dans son ancien emploi transitif au sens de « accueillir chaleureusement, faire fête à (quelqu'un) ; goûter, savourer (quelque chose) » (1) comme dans sa construction régulière avec la préposition de au sens de « tirer plaisir, joie, satisfaction, agrément, profit (d'une situation, d'un état, d'une relation sexuelle...) » ou de « avoir l'usage, la possession (d'un bien, d'un privilège, d'une faculté...) » (2). Tel est, en tout cas, l'avis des spécialistes de la langue, qui distribuent les cartons jaunes en guise d'avertissement : « Jouir [...] emporte l'idée d'une chose agréable, d'un plaisir, d'un avantage. On ne saurait donc dire sans commettre un barbarisme : Jouir d'une mauvaise santé, d'une mauvaise réputation, etc. » (Thomas), « Ne peut être suivi que d'un nom désignant une chose agréable ou avantageuse » (Girodet), « Jouir, impliquant une satisfaction, ne se dit pas des choses mauvaises. Ainsi c'est parler ridiculement que de dire : Il jouit d'une mauvaise santé, d'une mauvaise réputation » (Littré). Dirait-on moins ridiculement : souffrir d'une bonne santé, d'une bonne réputation ?

    Littré − dont j'ai ouï dire qu'il jouit toujours d'une excellente réputation sur le terrain... linguistique −  s'empresse d'ajouter : « Toutefois, quand la chose mauvaise dont il s'agit (malheur, peine, souffrance) peut être, par une hardiesse de l'écrivain, considérée comme quelque chose dont l'âme se satisfasse, alors jouir est très bien employé. » Pour preuve, ces exemples où « le souvenir [des peines] cause une sorte de jouissance à l'homme sensible et malheureux » (Girault-Duvivier) : « Il ne croit rien avoir s'il n'a tout ; son âme est toujours avide et altérée, et il ne jouit de rien que des malheurs » (Jean-Baptiste Massillon), « Je t'ai perdu. Près de ta cendre / Je viens jouir de ma douleur » (Jean-François de Saint-Lambert), « Agathe jouissait d'être victime » (Jean Cocteau), « Elles avaient peur de lui et jouissaient délicieusement d'avoir peur » (André Maurois). La nature humaine est ainsi faite qu'elle se réjouit plus volontiers encore du malheur d'autrui : « Vous voulustes joüir de toutes mes douleurs » (Gilles Ménage) (3), « Il se retourna vers les laveuses pour jouir de leur désarroi » (Stendhal), « Jouir de l'embarras de quelqu'un, en éprouver du plaisir » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Souvent, l'intention se veut ironique : « Je jouis ce soir d'un mal à la tête fou, et de plus il me vient des idées noires » (Stendhal, encore), « Ismaël avait reçu le nom de Borgne, quoiqu'il ne jouît, à vrai dire, d'aucune infirmité » (Alexandre Arnoux). Il n'est que trop clair que l'affaire qui nous occupe est différente. Point d'effet de style, ici, point de sous-entendus masochistes, sadiques ou ironiques ; seulement un journaliste qui s'est pris les crampons dans la pelouse... « En voulant éviter le verbe avoir qui leur semble sans doute trop banal, observe Robert Le Bidois dans Les Mots trompeurs, ceux qui parlent ainsi ne se rendent pas compte qu'ils prennent le bien pour le mal ou le plaisir pour la peine, ce qui est tout ensemble abusif et absurde. »

    À la décharge des contrevenants, reconnaissons toutefois avec le TLFi que l'on relève sous de bonnes plumes quelques emplois à contre-pied, où le complément désigne sans ambiguïté et sans arrière-pensée un désagrément : « Malfamé. Qui jouit d'une mauvaise réputation » (Dictionnaire des racines et dérivés de la langue française, 1842), « Nous jouissons d'un été horrible » (George Sand), « C'est un hôtel qui jouit d'une mauvaise réputation, qui est une sorte de bordel » (Edmond et Jules de Goncourt), « Il est vrai que certains châtelains jouissaient d’un mauvais renom » (Charles Géniaux). J'irai droit au but : la prudence impose de laisser ces hardiesses au vestiaire.

    (1) « De luin en mer bien oïrent / Cum li oiseals les goïrent » (Le Voyage de saint Brendan, début du XIIe siècle), « Ils jouyssent les autres plaisirs » (Montaigne). Cet usage fut reproché à Montaigne par le poète Étienne Pasquier qui y voyait un gasconisme.

    (2) Jouir de quelqu'un s'est dit au sens mondain de « avoir tout loisir de converser avec lui, de l'entretenir, de tirer quelque satisfaction de son agréable compagnie ». De là − une chose en entraînant une autre − l'acception moderne « disposer de quelqu'un afin de combler ses désirs et de satisfaire ses besoins sexuels », qui a fini par éclipser la précédente. Comparez : « L'espérance de jouir du gouverneur » (Agrippa d'Aubigné), « Deux amis étans ensemble, ils [sont] fort aises d'avoir occasion de joüir l'un de l'autre » (Jean Barbier d'Aucour), « Jouir à l'instant de soi-même » (Mme de Staël), « Nous jouirons de lui pendant son séjour à la campagne » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie) ; « Ils assouvissent leurs désirs charnels avec une grande fureur [...]. Et ainsi chacun jouit de celle qu'il préfère » (Anatole France) et, absolument, « Le phallus, [...] cette simple machine à pisser et à jouir » (Edmond et Jules de Goncourt).

    (3) À propos de ce vers, Ménage écrivit : « Comme cette locution jöuir de mes douleurs est hardie, elle n'a pas été approuvée de tout le monde, mais je la tiens heureusement hardie. Les Latins ont dit demesme frui dolore. »


    Remarque 1 : Quelques esprits rebelles font observer que le tour jouir d'une mauvaise santé n'est peut-être pas aussi barbare qu'on le pense : « Une santé est une propriété et par conséquent une jouissance quelle qu'elle soit. On jouit moins d'une mauvaise que d'une bonne, mais pourtant on en jouit, ou, en d'autres termes, on en use, ce qu'on ne pourrait faire si l'on n'en avait pas » (Jacques Boucher de Perthes, Petit glossaire, 1835).

    Remarque 2 : Au passé simple, jouir fait je jouis et non je jouissai, comme l'écrivit Voltaire dans sa correspondance : « Je jouissai d'une pension considérable, par laquelle mon roi avait daigné récompenser mes services. »

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le club souffre d'une réputation désastreuse (ou a une réputation désastreuse).

     


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  • « "Les choses que j'ai pu lui dire et celles que j'ai pues entendre de lui n'ont pas été des véri­­tés passa­­gères. Elles ont encore des réso­nances" témoi­gnait-elle pour Gala en 1996 » (Mireille Darc à propos d'Alain Delon).
    (Nicolas Schiavi, sur gala.fr, le 30 août 2017)



      FlècheCe que j'en pense


    Je me frotte les yeux : cette phrase, qui circule sur plus d'une scène (Huffington Post, RTL, Marie Claire...) à l'occasion de la récente disparition de Mireille Darc, date de 1996 si l'on en croit notre journaliste et, depuis tout ce temps, il ne s'est trouvé personne, dans les coulisses, pour s'aviser de son allure bancale. Pas de quoi flinguer tonton, c'est certain, mais avouez tout de même que cela ne fait pas sérieux. Car enfin, je vous le demande, pourquoi le participe passé pu serait-il traité différemment dans les choses que j'ai pu dire et les choses que j'ai pu entendre ?

    Renseignements pris auprès des barbouzes, tout porte à croire que le transcripteur de 1996 s'est emmêlé les pinceaux entre les différents scénarios d'accord du participe passé. Sans doute n'ignorait-il pas − et c'est tout à son honneur − que, dans cette affaire qui... pue la confusion, le complément d'objet direct joue un rôle de premier plan quand il est placé avant ledit participe. Encore lui fallait-il ne pas se tromper d'interlocuteur. Las ! le pronom que, mis pour les choses, est ici COD des infinitifs dire et entendre, pas du participe pu (on ne peut dire : j'ai pu les choses) − lequel a pour compléments directs les propositions infinitives (lui dire les choses, entendre les choses de lui) qui viennent après lui ! Partant, l'invariabilité est de rigueur... comme c'est, du reste, toujours le cas avec les participes cru, dû, prévu, pu, su, etc. suivis d'un infinitif (ou d'une proposition), exprimé ou sous-entendu : Il a fait toutes les choses qu'il a pu (faire).

    Force est de constater, aujourd'hui comme hier, que cette subtilité en laisse plus d'un perplexe, à commencer par cet internaute qui me demande : « Comment faut-il que j'accorde le participe passé "pu" dans la phrase suivante : "Les pressions qu'ils ont pu subir" ? » De là à ce que j'apprenne qu'il s'agit d'un grand blond avec une chaussure noire...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les choses que j'ai pu lui dire et celles que j'ai pu entendre de lui.

     


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  • Confusion audi... tive

    « Des robots apprennent maintenant d'autres robots. »
    (publicité pour la marque Audi.)



      FlècheCe que j'en pense


    En entendant, l'autre soir à la télévision, cette publicité pour la première fois, j'avoue avoir eu l'impression, l'espace d'un instant, d'assister à un dérapage syntaxique en direct. Car enfin, apprendre quelqu'un (fût-ce un robot) au lieu de apprendre à quelqu'un : nul besoin d'un GPS pour s'aviser que cela sent, au mieux, l'archaïsme déplacé (*), au pire, la sortie de route éméchée ! Et, de fait, les réactions ne se sont pas fait attendre − pour ne pas dire qu'elles ont démarré sur les chapeaux de roue : « Faute de français : "des robots apprennent d'autres robots" au lieu de "ENSEIGNENT À D'AUTRES ROBOTS" dommage car pub réussie », peut-on lire sur Twitter.

    Que l'on se rassure : tout bien analysé, la syntaxe est sauve. C'est que d' n'est pas ici l'article indéfini, comme l'avait d'abord cru mon oreille distraite, mais la forme élidée de la préposition de, introduisant la personne (parfois la chose) de qui on tient un enseignement : apprendre (quelque chose) de quelqu'un. Pour preuve, ces exemples (avec ou sans complément d'objet direct) trouvés chez les meilleurs spécialistes du circuit : « Il sont indisciplinés pour ce qu'ilz ne daignent aprendre des autres » (Oresme), « Ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu » (Pascal), « Virgile, qui d'Homère apprit à nous charmer » (Louis Racine), « Nous aimons mieux apprendre de nos semblables ce que nous sommes que de l'étudier en nous-mêmes » (Pierre Maine de Biran), « Pour devenir habile, il faut commencer par apprendre de ceux qui savent » (Dictionnaire de Trévoux), « On apprend d'un maître, on s'instruit par soi-même » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert), « J'avoue que je ne suis pas très instruit dans la cabbale, mon maître ayant péri au début de mon initiation. Mais le peu que j'ai appris de son art me fait véhémentement soupçonner que tout en est illusion, abus et vanité » (Anatole France), « Nous n'avons, quant à la révolution, rien à apprendre de personne » (Jean Guéhenno), « J'ai tout appris de toi sur les choses humaines » (Aragon), « [Metternich] a beaucoup appris de Talleyrand lors de son ambassade à Paris » (Jean-Marie Rouart), « Miro lui-même n'a pas cessé d'apprendre de Picasso » (Pascal Bonafoux), « L'âge où ils [= les enfants] l'ont su sans forcément l'apprendre de quelqu'un » (Jean Guerreschi).

    Littré, qui maîtrise son code de la route grammaticale sur le bout des doigts, nous rappelle les différences entre les deux constructions : « Dans le sens d'acquérir des connaissances, [d'être instruit,] on dit apprendre quelque chose de quelqu'un. Dans le sens d'enseigner, instruire : on apprend quelque chose à quelqu'un. » Comparez : un élève apprend de son professeur la robotique et un professeur apprend la robotique à son élève. « L'ambiguïté du verbe apprendre, qui peut se dire du maître ou de l'élève, est évidemment irritante et peu pratique », reconnaît Dupré en rongeant son frein, « mais elle n'est pas près de disparaître, car les deux sens sont bien vivants ». Ajoutons, pour être complet, que la construction avec de s'emploie plus couramment à propos d'une simple information que d'un véritable enseignement, à l'instar de l'expression apprendre quelque chose de la bouche de quelqu'un.

    Reste à comprendre pourquoi notre publicitaire − ou du moins le portrait-robot que l'on s'en fait − a jeté son dévolu sur le tour de sens passif plutôt que sur celui de sens actif, remisé sur une voie de garage. Apprendre de s'accommoderait-il mieux de l'absence de COD que apprendre à ? Dans le doute, et pour ne pas renvoyer la réponse aux calandres, pardon aux calendes grecques, je préfère vous passer le volant...

    (*) Les dictionnaires historiques nous enseignent que apprendre quelqu'un s'est dit autrefois au sens de « lui enseigner certaines connaissances, faire son éducation, l'instruire » : « Tout mon art je recordois [racontais] / À cet enfant pour l'apprendre » (Ronsard), « Qui apprendroit les hommes à mourir leur apprendroit à vivre » (Montaigne). Cette construction avec un complément direct de personne, encore usuelle au XVIIe siècle, a perduré dans la langue populaire ou relâchée : « Elle apprend ses sœurs » (Alphonse Daudet), « Vous l'avez appris à jurer en russe [dit une cuisinière normande] » (Georges Bernanos). Témoignent également de cet archaïsme le proverbe Il faut être pris pour être appris (« il faut avoir connu une mésaventure pour devenir prudent ») ainsi que les expressions bien appris et surtout mal appris (souvent en un mot) en parlant d'une personne bien ou mal élevée : « Les enfants indociles ou mal appris » (Bossuet).

    Remarque 1 : Curieusement, l'Académie, à l'entrée « apprendre » de la neuvième édition de son Dictionnaire, ignore la construction avec de... qui apparaît pourtant à l'entrée « demander » : « Faire connaître à quelqu'un, en lui posant une question, ce qu'on désire apprendre de lui. »

    Remarque 2 : Selon le Grand Larousse, on trouve encore au XVIIe siècle apprendre de suivi de l'infinitif, « quoique cette construction soit déjà considérée comme vieillie » : « Une maxime qui nous apprendra d'estimer la vie » (Bossuet).

    Remarque 3 : Le tour apprendre de ses erreurs est suspecté d'être un calque de l'anglais to learn from one's mistakes.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (ou, plus couramment, des robots apprennent à d'autres robots ?).

     


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