• « On comprend bien le dilemne d'Edouard Philippe. »
    (Hervé Nathan, sur marianne.net, le 26 mai 2017)   

    Édouard Philippe, source assemblee-nationale.fr

     

      FlècheCe que j'en pense


    Que m'a-t-il donc pris de lire le dernier édito d'Hervé Nathan, directeur adjoint de la rédaction du journal Marianne, intitulé « Edouard Philippe aux électeurs de Bretagne : dégagez Ferrand pour moi svp » ? Je ne parle évidemment pas du fond de l'affaire, qu'il ne m'appartient pas de commenter ici, mais de la forme... laquelle dégage une fâcheuse impression d'à-peu-près. Jugez-en plutôt.

    « "Vox populi, vox dei" (la voie du peuple est celle des dieux), disaient les Anciens. » Gageons que les Modernes auront su remettre ladite traduction dans le bon chemin.

    « La manœuvre qui qui [sic] consiste à recourir à une soi-disant justice "populaire" par l'intermédiaire d'un scrutin politique, n’est pas vraiment glorieuse et a peu à voir avec la justice. » L'Académie a beau rappeler que, contrairement à prétendu, l'adjectif invariable soi-disant ne saurait s'appliquer à une chose (laquelle, convenons-en, aurait bien du mal à dire quoi que ce soit), rien n'y fait : celui-ci s'impose, dans l'usage courant comme en littérature, au détriment de celui-là. Maurice Druon lui-même compte parmi les contrevenants : « Et le renflouage soi-disant refusé par les Leroy, qu'est-ce qu'il y avait de vrai là-dedans ? » C'est dire !

    « Une assertion dont on se demande ce qu'en pensent les cotisants de la Mutuelle de Bretagne. » Et vous, que pensez-vous de ce en, dont tout porte à croire qu'il fait double emploi avec le relatif dont ?

    « Edouard Philippe a publié le 25 mai une circulaire enjoignant tous les ministres de lui faire part "de tout intérêt antérieur à ces cinq ans susceptible d'influencer ou de paraître influencer une décision publique à laquelle vous serez associé". » Est-il vraiment besoin, je vous le demande, de s'obstiner à employer un verbe dont on ne maîtrise pas la construction ? Si l'on n'est pas prêt à souscrire à l'idée d'enjoindre à quelqu'un de faire quelque chose, mieux vaut encore se rabattre sur le verbe ordonner, d'usage plus courant.

    « On comprend bien le dilemne d'Edouard Philippe. » On comprend moins la tentation d'Hervé Nathan de se laisser aller à écrire, au mépris de l'étymologie (le grec lêmma désignait ce que l'on prend ou reçoit, puis la prémisse d'un syllogisme), dilemne par contamination avec indemne.

    « Un psychanalyste conclurait que le subconscient du Premier ministre impuissant, allié à son surmoi, appelle tout simplement les électeurs du Finistère à "dégager" Richard Ferrand du paysage politique, quoi qu’il affirme penser le contraire. » Notre journaliste, quant à lui, a-t-il seulement conscience d'avoir confondu la conjonction concessive quoique (en un mot), synonyme de bien que, et la locution concessive quoi que (en deux mots) qui signifie « quelle que soit la chose que » ? Comparez : Quoi qu'il affirme, je ne le crois pas et Il ne me croit pas, quoiqu'il affirme le contraire.

    De là à ce que notre homme s'entende dire qu'il ne se montre guère... déférent envers la langue française.


    Voir également les billets Soi-disant, Enjoindre, Quoique et Dilemme.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La voix du peuple est celle de Dieu.

    Une prétendue justice populaire.

    Une assertion dont on se demande ce que pensent les cotisants de la Mutuelle de Bretagne.

    Une circulaire enjoignant à tous les ministres de...

    On comprend bien le dilemme d’Édouard Philippe.

    Il appelle les électeurs à dégager Richard Ferrand du paysage politique, quoiqu'il affirme penser le contraire.

     


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  • « Le jeune Georges Bizet frais moulu du Concours pour le Prix de Rome, et heureux lauréat, compose plusieurs partitions depuis Rome. »
    (Lucas Irom, sur classiquenews.com, le 9 mai 2017)   
    Georges Bizet, source Wikipedia.

     

      FlècheCe que j'en pense


    Voilà qui est fort de café ! Car enfin, j'en étais resté pour ma part à la locution frais émoulu (de) pour qualifier une personne récemment anoblie (un gentilhomme frais émoulu) ou, plus couramment, quelqu'un tout nouvellement sorti d'un établissement d'enseignement, d'éducation et qui n'a donc pas eu le temps de perdre la formation qu'il y a reçue : « Un escolier, revenant frais esmoulu des escoles » (Étienne Pasquier, XVIe siècle), « Cette puissante et glorieuse armée de vieux soldats aguerris tous fraischement esmoulus » (Charles de Lorraine, duc de Mayenne, fin du XVIe siècle), « Monsieur est frais émoulu du collège » (Molière), « J'ai vu dans le clergé américain des garçons frais émoulus de leurs séminaires » (Julien Green), « Brian O'Shaughnessy, frais émoulu d'Eton, fait son entrée dans le grand hall » (Jean d'Ormesson), « Un jeune sous-lieutenant frais émoulu de Saint-Cyr » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Rappelons à toutes fins utiles que ledit émoulu n'est autre que le participe passé de l'ancien verbe émoudre (« aiguiser sur une meule »), emprunté du latin emolere (« moudre entièrement »), lui-même formé de ex- intensif et de molere, à l'origine du français moudre. Employé comme adjectif, il s'entend au sens propre de « affûté, fraîchement aiguisé à la meule » (un sabre émoulu, combattre à fer émoulu) et, dans notre locution, au sens figuré de « sorti d'un lieu de formation (l'esprit encore affûté par l'enseignement reçu) ». Aussi se gardera-t-on de toute confusion entre les expressions phonétiquement proches frais émoulu et frais moulu (« fraîchement moulu ; qu’on vient de broyer, de réduire en poudre ») qui, bien que construites avec deux adjectifs de même racine, ont des sens bien distincts. Comparez : un bachelier frais émoulu (1) (sens figuré) et du poivre frais moulu (sens propre).

    Mais là n'est pas le seul écueil que nous réserve ladite locution : son emploi au féminin n'en finit pas de diviser les fines lames de la langue. Si pour la majorité des spécialistes frais émoulu fait fraîche émoulue, selon un usage ancien qui veut que frais, bien qu'employé adverbialement au sens de « depuis peu », continue de s'accorder en nombre et en genre avec un nom féminin par attraction avec le participe-adjectif qui suit (2) − « Il est tout frais émoulu (elle est toute fraîche émoulue) de Polytechnique » (Hanse), « Une jeune agrégée fraîche émoulue de Normale sup' » (Larousse en ligne), « Des jeunes filles fraîches émoulues de Polytechnique » (Le Bescherelle pratique), « Fraîche émoulue du couvent » (TLFi), comme on écrit : une fleur fraîche éclose (ou, plus couramment, une fleur fraîchement éclose) −, Girodet s'obstine sans plus de détails à écrire la locution « toujours au masculin » (3), quand Alain Rey laisse prudemment le choix entre les deux graphies : « Elle est frais (ou fraîche) émoulue de Polytechnique » (200 drôles d'expressions que l'on utilise tous les jours sans vraiment les connaître). Mais c'est la position de Jean-Pierre Colignon dans son livre Ce français qu'on malmène qui donne le plus de grain à moudre : « Il ne faudra absolument pas déroger à l'invariabilité adverbiale dans une expression comme : de jeunes étudiantes frais émoulues de l'université car fraîches émoulues prêteraient irrésistiblement à rire ; mais la forme tout à fait correcte frais émoulues fera sans doute hésiter, et la sagesse, quand on hésite, peut être de s'abstenir. » Moulu de rire, vraiment, l'ancien correcteur du journal Le Monde ? Si je fais volontiers mienne sa conclusion, l'argument par lui avancé me paraît d'autant moins... émoulu que je ne vois pas bien en quoi la combinaison fraîches émoulues serait plus risible que frais émoulus : une oreille distraite ne risque-t-elle pas d'entendre dans les deux cas frais (fraîches) et moulu(e)s ?
    Toujours est-il que Victor Hugo et sa « petite pensionnaire, fraîche émoulue du couvent » n'en finissent pas de broyer du noir...

    (1) Cet exemple, emprunté à la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, laisse entendre que la locution frais émoulu peut s'employer sans complément.

    (2) « Bien que [frais] soit adverbe, l'oreille a exigé, contre la grammaire, qu'il s'accordât avec son substantif en genre et en nombre », observait déjà Littré. Cet usage, que d'aucuns jugent encore hésitant, n'est pas particulier à frais ; grand, large et tout pris adverbialement offrent des cas semblables : des fenêtres grandes ouvertes, larges ouvertes ; des viandes toutes saisies.

    (3) À l'instar de ces quelques exemples : « Thérèse Villermaulaz [...], frais émoulue de sa paisible Helvétie » (G. Lenotre), « Et comme le déjeûner d'une jeune scholarde frais-émoulue s'assaisonne d'un grain de pédanterie » (Romain Rolland), « Une troupe de jeunes Scandinaves toutes neuves, frais émoulues de leur Scandinavie » (Jacques Roubaud).

     

    Remarque 1 : Grevisse note que, dans son acception figurée, émoulu s'avance à l'occasion sans frais : « Quant à moi, pauvre petit garçon émoulu de ma province » (Claudel).

    Remarque 2 : On a également dit être frais émoulu d'une chose, d'une matière pour « l'avoir étudiée tout récemment ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le jeune Georges Bizet, frais (ou fraîchement) émoulu de la Villa Médicis.

     


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  • « Car les Aiglons [...] n’étaient pas là pour plaisanter. Pas le moindre du monde. »
    (Maxime Claudel, sur tf1.fr, le 30 avril 2017)

     
     

      FlècheCe que j'en pense


    « C'est par plaisanterie [rien de moins !] que quelques personnes disent "pas le moindre du monde" », écrivait en 1972 le linguiste Marcel Cohen dans Une Fois de plus des regards sur la langue française. Voire. Car enfin, rares sont les plaisanteries qui ont la vie aussi dure. Jugez-en plutôt : « Chacun donc doit travailler principalement à prévenir et à corriger tout ce qui peut gêner le moindre du monde les déterminations de sa volonté » (Principes du droit de la nature et des gens de Jean-Jacques Burlamaqui, édition de 1767), « Il est bon de remarquer que ce qu'on appelle gentlemen ou gentry [...] ne veut pas le moindre du monde dire noblesse » (Considérations sur l’ordre de Cincinnatus de Mirabeau, édition de 1815), « Dans le seul but de satisfaire votre curiosité [...] ? Pas le moindre du monde » (Albert Montémont dans une traduction de Walter Scott, 1836), « [...] ce qui n'arrange pas le moindre du monde leurs affaires » (La Dépêche), « Flatté ? Pas le moindre du monde, je suis républicain ! » (Le Figaro), « [Elle] ne s'étonnerait pas le moindre du monde de les voir revenir ensemble » (L'Express, Le Point), « Les architectes ne se sont pas préoccupés le moindre du monde de loger ici des hommes de la vie réelle » (France Télévision), « Sans vouloir le moindre du monde être indélicat » (site Internet de l'Assemblée nationale).

    Proximité phonétique entre le moins du et le moindre du ? Confusion avec l'expression pas le moindre (effort, intérêt, obstacle...) ? Toujours est-il que grande demeure, chez l'usager de la langue, l'hésitation entre l'adverbe (superlatif de peu) et l'adjectif (superlatif de petit). Rappelons donc ici avec Hanse que la locution adverbiale le moins du monde « exprime une très petite quantité (si peu que ce soit) : Si cela vous ennuie le moins du monde. [Elle] s'emploie le plus souvent dans des phrases dont le sens est négatif : Il n'essaie pas le moins du monde de nous tromper. Sans penser le moins du monde à la peine qu'il nous faisait » ; ne... pas le moins du monde signifie alors « pas du tout, nullement, en aucune façon ». Dans des tours interrogatifs, le sens est celui de « en quelque manière » : Vous ai-je offensé le moins du monde ?

    Pour autant, il n'aura pas échappé à votre regard d'aiglon que l'attelage le moindre du monde n'en est pas moins attesté chez plusieurs auteurs anciens − et pas des moindres −, où le moindre, employé substantivement, désigne selon Littré « la personne la moins considérable, de la dernière condition » : « Si le moindre du monde a esté injurié, c'est à celluy auquel la dénonce est faicte de prouver le faict » (Calvin), « Quand se trouvera-t-il avoir jamais abusé de sa charge et autorité envers le moindre du monde ? » (Théodore de Bèze), à l'instar de « Et c'est ce que le moindre du peuple condamne tous les jours sur nos théâtres » (D'Aubignac), « Si le moindre du peuple en conserve un soupçon » (Corneille), « Si j'avais épousé le moindre du village » (Charles Perrault), « Il s'en [= de table] levait souvent pour le moindre du peuple qui l'envoyait chercher » (Saint-Simon), « Égarés dans des routes obscures, repoussons-nous la clarté, parce que le moindre du cortège tient le flambeau ? » (Emmanuel Dupaty). D'aucuns trouveront cette construction un rien désuète. Il leur est évidemment loisible de l'ignorer − c'est bien la moindre des choses.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils n’étaient pas là pour plaisanter. Pas le moins du monde.

     


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